Casting d'enfer - polarcho
Paul
ARRIEU
CASTING
INFERNAL
Polarcho
En guise
d'Avant-Propos...
Table des matières :
1 -
Hou you youille !
Le
temps des cerises .- Ouille ! ça
fait mal .- Le chapeau de
gendarme . - Étonne-moi .
2 - Le
geste auguste du semeur
L’humeur
à facettes de Lola . - Faut le mettre à l’amende .- La mallette . - L’autre mallette . - Au gendarme et au voleur .- Tu sais pas
tout .- Abus de biens sociaux .
3
- Chaud, le festival, chaud !
Le
bahut, la guitoune et le palace .- Partouze manquée .- Les joyeusetés du
tournage .- Ce bon monsieur Gabriel .- Désir d'amour .
4 - De
mal en pis
Séance
plénière .- La sonnerie du tocsin .- Le Titan .- Riton, Simone et Ces Messieurs .- Aux suivants .- Et
c'est le tour à Pépère .- Les journaux .- Du coup fourré au coup dur .
5 -
Suspects suspense et sexe
La plainte de Jules .- Recherche d'alibis .- Durimel et les femmes .- La plus
raisonnable .- Révélations .- Politique et affaires embroussaillées .-
Griffures et coups de dents .- Au clair de la lune .
6 - L'enquête déraille, Amadeus la sauve
La
presse .- Oh les cafteuses, oh! les coquines .- Romance en marge .- Traitement
de faveur .- La marinade .- Va y avoir du sport .- Un portier qui a l'œi .-
Enlevez, c'est pesé .
(Pour
choisir un chapitre, voir colonne de droite)
Avertissement
1
Toute
ressemblance entre les héros de ce polarcho et des personnages réels serait
fortuite.
Avertissement
2
Les
passages en caractères gras ne sont pas là que pour faire joli . Ils indiquent
des passages qui mériteraient une illustration, dessin ou photo. Avis aux amateurs
II Paul ARRIEU, Casting d'enfer
1 -
Hou you youille !
Le
temps des cerises
Lui,
c’est Toni . Il a la gueule de Depardieu, en plus jeune, d’accord, mais quand
même, il en a quelque chose, dans le nez, un poil de travers, et dans le
regard, dur, quand il rigole pas aux éclats. Il est plus corpulent aussi,
quoique Depardieu, c’est déjà une
beau bestiau, mais Toni, lui, il est vraiment taillé comme un pilier de rugby,
d’ailleurs la preuve, il a tâté de la boxe, et s’il a pas réussi à grimper au
top, c’est pour d’autres raisons, sans rapport avec sa musculature, mais
plutôt, disons, avec son caractère.
Toni,
donc . Il a installé sa petite boutique dans un couloir du métro Châtelet . A
savoir un pliant, il est assis dessus. Derrière lui, il a son sac à dos .A ses
pieds, à côté de sa casquette, un petit poste de radio qui fait magnétophone.
Sur ses genoux sa guitare . Sur sa guitare, ses bras nus, vu qu’il est en
marcel, que, s’il ajoute à ses bras nus son regard dur, il impressionne . Les nanas et autres petites mères qui
lui jettent une pièce dans sa casquette le font peut-être autant par vague
crainte que par admiration pour sa prestation . Laquelle consiste à chanter, sur des accords de
guitare, mais attention, discrètement , comme pour soutenir et encourager la bande magnétique
qui, elle, donne à fond .
Aujourd’hui,
c’est en priorité Le temps des cerises, en duo avec une gloire du début du
siècle, une femme dont tout le monde a oublié le nom, mais dont le timbre
correspond bien au sien, d’après ce qu’il en dit . Après chaque chanson, tout en reprenant souffle, il sort de
son sac pour les vendre des cassettes, rien que des tubes immortels, des
chansons cultes, des chefs d’œuvre du patrimoine signés Maurice Chevalier, Rina
Ketty, Fernandel, Georgette Plana, Tino Rossi ou Dranem . Un lot de mille
cassettes. Il les a négociées dans
une cave qu’il connaît à trente centimes l’unité . Il les revend deux euros .
Ce qui lui laisse le temps de voir venir ...
Ouille
! ça fait mal
Et là,
qui c’est qui vient , c’est Bamboula . C’est un ado, il est beau comme un dieu
grec qui serait né au Sénégal, noir comme on peut pas rêver mieux, sans une
goutte de métissage, avec un grain de peau très fin et des yeux pétillants. Il
arrive en traînant la savate, en se dandinant, il en finit pas, mais pour
montrer que cette allure ne répond pas à sa nature, un, deux, trois, et hop !
il fait un saut périlleux qui le plante devant le musico.
Alentour
les gens du métro étouffent des oh! et des ah! en passant vite.
- Tu
m’casses mon commerce, mon p’tit Caoua, lui fait Toni, sévère .
-
J’suis venu exprès pour te voir, Toni , vu que j’ai appris que t’avais été jeté
de ton Mac Do , je veux dire, où tu travaillais ...
TONI -
J’ai pas été viré, je m’suis
tiré...
BAMBOULA
- Oui, j’ m’en doute, vu ton caractère et tout, et comme je sais qu’entre deux
p’tits boulots , c’est ici qu’on
te retrouve, je suis venu ...
TONI -
Dis voir, môme, d’accord, t’es mon p’tit Caoua, mon p’tit frelot, si quelqu’un
te cherche des noises, il a affaire à moi, tout le monde le sait dans not’ cité
d’ Nanterre, mais ça ne te donne pas tous les droits, comme de venir me dire
ici que j’ai été débarqué à cause de mon caractère, et si c’est pour ça que
t’as fait le voyage...
BAMBOULA,
allant s’accroupir à côté de Toni . -Mais pas du tout Toni, j’suis venu te
parler de moi, de quelque chose de... de... de délicat.
TONI -
Hein? Comment t’as dit ? Délicat ?... T’as de ces mots aujourd’hui... Je
t’écoute.
BAMBOULA
- Je sais pas par où commencer. Disons que c’est, c’est rapport à ma bite...
TONI -
Ah! non, mon Caoua, non! Tu vas pas nous remettre ça !... Tout le monde le sait
dans la Cité , que ta bite c’est la reine des bites, qu’elle est
énorme, que c’est la plus belle par sa taille, sa forme et sa couleur, que tes
potes te l’ont peinte en blanc pour tes quinze ans, que Bob, le commis boucher
, vous a ramené une bite de taureau pour faire la comparaison, qu’il vous a
promis pour la prochaine fois une bite d’âne... Ben quoi, qu’est-ce que j’ai
dit , c’est pas vrai ? ( Il vient de s’apercevoir que Bamboula est en pleurs .
Il le prend par les épaules. )
Qu’est-ce que t’as à chialer ? Qu’est-ce que j’ai dit ? T’es fier de ta bite,
mon Caoua, d’accord... Y a pas plus naturel ! Moi je serais pareil... Allez, va, raconte-moi la dernière.
BAMBOULA
- C’est pas vrai que je pleure, je veux dire, y a pas que moi, ma bite aussi...
TONI -
Hein ?
BAMBOULA
- Ouais, on peut le dire comme ça, elle a la larme à l’œil .
TONI -
Hein ?
BAMBOULA
- Ben oui .
TONI,
méchant - Dis voir, môme, tu viens me casser ma goualante pour une vanne à
trois sous qui ferait même pas rigoler les plus arriérés de ton lycée
professionnel d’enfoirés...
BAMBOULA,
pathétique - Je sors de chez le toubib, Toni, je suis venu te voir direct...
TONI -
Et alors?
BAMBOULA
- Je l’ai pas compris tout de suite. Y m’a dit t’as une blenno, y m’tutoyait ce
con, j’ai ouvert de grands yeux, une blennorragie, y m’a fait, et pour bien me
mettre les points sur les i , y m’a dit une chaude-pisse . En même temps, il se
lavait les mains, ce qui m’a fait penser que j’avais pu attraper ça en serrant
la main d’un mec pas propre ou en buvant dans un verre mal rincé, je lui ai
dit...
TONI -
Et alors ?
BAMBOULA
- Alors y m’a vu venir, il a fait tsst, tsst, tsst, te fatigue pas à chercher
ailleurs, y m’a dit, t’as forcément attrapé ça dans un rapport sexuel, c’est
comme ça qu’y cause ce con, sûr et certain, y m’a dit, et t’as d’la chance de
pas avoir chopé le sida, parce que
t’es un petit inconscient de merde de pas mettre une capote, y l’a pas dit comme ça,
mais j’ai lu le SMS dans ses yeux...
TONI -
Et il a raison à cent pour cent, ce toubib, mec... Mais pleure pas comme ça, merde, en plein métro, en
plein public... C’est vrai que t’es qu’un p’tit con, mon p’tit Caoua, mon
frelot... C’est pas une raison pour te mettre dans des états pareils... Je te l’ai dit déjà, tu devrais avoir
une copine . ça serait plus sain pour toi . C’est pas raisonnable, à ton âge, d’aller aux putes, et sans
préservatif ! D’ailleurs ça m’étonne qu’une pute ...
BAMBOULA,
se frottant les yeux - Je suis pas
allé aux putes, Toni, tu sais très bien que j’en ai pas les moyens ...
TONI -
Alors quoi ?
BAMBOULA
- ça m’est pas arrivé en me branlant avec les mains crades, et les pédés c’est
pas mon truc, je te dis tout ça parce que le toubib m’a mis les points sur tous
les i, c’est vrai que c’est un bon toubib, y m’a dit c’est elle, cherchez pas
plus loin, c’est cette femme...
TONI -
Quelle femme ?
Les
gens qui passent regardent à la dérobée ce couple insolite de gaillards dont
l’un console l’autre. Mais plus une pièce ne tombe dans la casquette . Personne
ne s’intéresse à l’assortiment des bandes magnétiques bradées à deux euros .
Pour détendre l’atmosphère, et réamorcer le commerce, Toni lance au magnéto
Elle avait du poil aux pattes. Au moment où il commence à gratter sa guitare
pour attaquer un duo avec Fernandel, son pote l’arrête . Toni lui demande s’il
préfère une note d’exotisme avec La fille du bédouin de Georgette Plana . Pour
toute réponse, le môme fait demi-tour, et s’assied en tailleur face au mur pour
chialer de plus belle.
TONI -
Mais qu’est-ce que t’as mon Caoua ? T’en fais un peu trop, non? T’as mal ?
C’est douloureux c’te saloperie ?
BAMBOULA
- Bof, non... ça brûle un peu au bout, au niveau du gland , à peine... Mais ... Ou-you-youille ! c’est surtout au
moral que ça fait mal.
TONI -
T’es trop sensible petit frère...
BAMBOULA
- Quand je t’aurai dit tu jugeras...
TONI -
Dis toujours...
BAMBOULA
- La femme ...
TONI -
Ouais...
BAMBOUla
- Ben... ben...
TONI -
T’accouche, oui...
BAMBOULA
- Ben c’est Lola .
TONI,
sourcils froncés, l’index menaçant - Toi, Bambou, t’as beau être mon p’tit
Caoua, j’te permets pas, t’entends ?... Lola , c’est une fille propre !
T’oublies un peu vite c’que tu lui dois! C’est quand même elle qui t’a soulagé
de ton pucelage...
BAMBOULA
- Oui, grâce a toi Toni, j’ai rien oublié, c’est toi qui me l’a donnée, Lola...
TONI -
C’est moi, c’est moi !... Non, c’est elle, moi j’y suis juste allé d’un petit
conseil... C’était du temps où elle était ma meuf... Mais depuis, chaque fois
que vous avez remis le couvert, vous m’avez pas appelé pour tenir la bougie...
BAMBOULA
- Ben justement, Toni, ça n’a pas été souvent, parce que, Lola, ma bite lui donne le grand frisson,
j’en suis sûr, la main au feu, mais le malheur, c’est qu’elle a trop de moralité...
TONI -
Bon, ça va, je la connais comme le fond de ma poche, raconte-moi plutôt votre
dernière.
BAMBOULA
- Je sais pas si tu le sais, mais
Lola, depuis quelques semaines, elle sort avec un mec de la côte d’Azur, un gus
qui navigue entre Paris et là-bas, ce qui fait qu’ils ne vivent qu’à moitié à
la colle, quand il vient, dans une
chambre de bonne qu’il lui a trouvée sur les Grands Boulevards... De fait,
c’est un studio, tu verrais ça, vraiment chicos, aménagé dans deux chambres
côte-côte l’une avec fenêtre, l’autre avec lucarne...
TONI -
Et toi dans ce merdier ? Abrège .
BAMBOULA
- Moi... J’ai fait un mot pour le lycée, de ma propre main, les surveillants sont habitués vu que
ma pauv’ maman sait pas écrire, j’ai mis : “Monsieur le Proviseur, j’excuse
l’absence de mon fils pendant une quinzaine de jours pour cause de force
majeure en raison d’une visite de son père...”
TONI -
Fais plus court, môme, ou j’ te mets un pain .
BAMBOULA
- J’ai guetté le départ du mec pour la Côte... J’ai continué de guetter... J’ai
attendu le lendemain matin., que la lumière de sa chambre s’allume, sous les
toits, au sixième...
TONI -
T’as guetté, t’as guetté, comment ça ?
BAMBOULA
- Mais c’est toi qui veux que je résume, Toni . J’ai fait la planque dans le
cagibi des poubelles, super bien placé...
TONI -
C’est bon, c’est bon... La voie est libre, tu montes, tu sonnes, elle te fait
entrer...
BAMBOULA
- Ben oui, tu la connais, méga sympa, surtout que je lui apportais des
croissants chauds...
TONI -
D’accord, d’accord... Après les croissants...
BAMBOULA
_ J’ai pas tenu jusque là, Toni . Par jeu, j’ai dénoué la ceinture de son
peignoir. Ovcorse, elle était à poil... J’te raconte pas l’éblouissement, elle a été ta
meuf... J’ai fait glisser le peignoir, elle m’a dit qu’elle voulait bien étant donné qu’elle avait pas pris sa
douche, que par conséquent ça ne la retarderait pas trop... On était dans la
kitchenette, on n’a pas pris le temps d’aller jusqu’au lit, je l’ai gentiment
pliée sur la table... Je raconte ou j’abrège ?
TONI -
Tu l’as pliée, tu veux dire que tu l’as prise en levrette .
BAMBOULA
- Tout juste . Je lui ai caressé la croupe, je lui ai écarté les fesses, tu te
souviens de sa nusse, un vrai diamant...
TONI -
Sa quoi ?...
BAMBOULA
- Du bout de ma bite, qui était nickel à ce moment là, je lui ai titillé la
vulve et la nusse....
TONI -
Ah! l’anus, d’accord.
BAMBOULA
- Ben oui...
TONI - Je t’expliquerai plus tard .
Continue.
BAMBOULA
- Elle tenait plus Toni, avec la main elle m’a orienté le braquemart a sa
convenance, et moi, paf!...
TONI -
Bravo, mon Caoua . Mais si tu veux bien, on va recentrer le débat, sinon jamais
on n’en arrivera à la chtouille...
BAMBOULA
- La suite... comment dire? Elle a pris sa douche... Elle a bien voulu que je
revienne le soir... J’ai passé une journée pas possible de tant que je
l’attendais . A midi, j’ai dû me faire une branlette . Quand je l’ai retrouvée,
elle était chaude à un point que... j’allais dire que tu peux pas imaginer,
mais si, tu peux... Je l’ai tirée deux fois, et même une petite troisième...
TONI -
Eh ben, voilà !... Voilà ! C’est l’abus qui t’a donné ta chaude-lance .
BAMBOULA
- Non monsieur, non ! J’y ai pensé, Toni. Mais le toubib a été formel, tu peux
tirer, y m’a dit, jusqu’à usure complète du matériel, c’est pas ça qui
introduira là où y en a pas, des monocoques, des multicoques, un nom comme ça.
TONI -
Conclusion, le salaud, c’est l’autre, le pèlerin de la Côte d’Azur.
BAMBOULA
- Forcément. Ce que j’t’ai raconté s’est passé y a trois jours . J’ai pas revu
Lola depuis, parce que le lendemain, ce con là devait revenir... Maintenant je
me demande ce que je dois faire ? L’avertir, elle ? J’ai voulu te demander
conseil... J’ai aussi voulu , comment dire, te prévenir...
TONI -
Me prévenir de quoi ?
BAMBOULA
_ Des fois que t’aurais un goût de revenez-y, avec Lola., vu que -les nouvelles
vont vite dans la Cité- tout le monde sait que t’as largué ta meuf en même
temps que ton Mac Do. Y en a qui disent que c’est elle, la Monique, qui
supportait pas de te voir pointer au chômedu...
TONI,
l’œil mauvais - Qui c’est qui dit ça ?
BAMBOULA
- La rumeur, un bruit qui court dans la Cité...
TONI -
Et qui a fait le tour de tout Nanterre, et pourquoi pas le tour de France !
Que... écoute moi bien, mon Caoua, tu m’as demandé un conseil, je t’en donne
deux . Le premier, ne tend pas l’oreille vers ceux qui bavent sur moi, vu ? Le
deuss... est-ce que tu as commencé ton traitement?
BAMBOULA
- Ben non, Toni . Je suis venu te voir direct...
TONI -
Alors tu files chez le pharmaco, illico, parce que, quand on a un joli petit capital... pardon, excuse, môme,...
quand on a un beau gros capital comme toi, dans le calcif, il faut le soigner, et après, gentiment l’entretenir.
Le
chapeau de gendarme
Simone
attaque une dernière mèche, rouge feu, d’un rouge qui
convient bien au brun de la teinture que Mme Belmont a choisi .
- On
arrête là ou je vous en fais encore une ou deux, Mme Belmont ? demande Simone à
l’image de sa cliente, dans la glace.
Pour
que celle-ci puisse mieux juger, elle gonfle la chevelure en la faisant glisser
entre ses doigts, à la hauteur des oreilles .
-
C’est parfait, on arrête.
Simone
s’arme de sa brosse pour un lustrage d’ultime finition .
- Quel
beau garçon, il est vraiment fait pour toi ! dit la cliente en pointant le
miroir.
La
jolie coiffeuse lève les yeux, voit l’image de Riton . Il est dehors, sur le
trottoir. Elle tourne la tête vers lui, et, avec un sourire crispé, lui fait un
signe d’assentiment . Il n’en demande pas davantage, il disparaît.
-
M’est avis que tu ne vas pas déjeuner seule, ma petite Simone, dit Mme Belmont.
Simone
s’efforce de sourire.
- Je
suis bien contente pour vous deux...
- Vous
êtes contente de quoi, Mme Belmont
?
-
Pourquoi fais-tu la cachottière avec moi, ma petite chérie, moi qui vous ai
toujours connus, toi et Riton, moi qui vous ai vendu vos premiers carambars,
forcément, puisque j’étais boulangère dans cette Cité avant même que vous soyez
nés...
-
Croyez-vous, Mme Belmont , que notre déjeuner soit une grande nouvelle à
annoncer ?...
- Le
déjeuner, non... Mais je viens de
passer deux heures avec toi, entre tes mains, et tu ne m’as pas dit que ton
copain, autrement dit ton compagnon, Riton pour ne pas le nommer, avait réussi
son concours d’entrée dans la gendarmerie... Je l’ai appris à la boulangerie
par sa sœur ...
Le
joli minois de la coiffeuse se renfrogne . Elle grimace, cherchant une bonne
réplique.
- Ce
n’était pas la peine que je vous en parle, dit-elle, je m’en doutais que vous le saviez .
- Moi
je pense , poursuit la boulangère, que tu as tout lieu d’être fière de lui,
parce que la gandarmerie, c’est l’aristocratie de la police, c’est le sens du
devoir et de l’honneur... Rien à voir avec les CRS du 93 ou avec les enquêteurs
de la crime comme on les voit dans les séries à la télé...
- Vous
avez raison, Mme Belmont, décrète Mme Inès, la patronne du salon .
Et
pour mieux venir en aide à son employée qu’elle devine gênée , elle fait mine
de la bousculer :
- Vous
seriez gentille d’en finir, Simone... J’aime bien fermer avant 13 heures .
-
L’ennui, ma petite Simone, dit Mme Belmont, c’est que je t’aime bien et que je
vais te perdre...
L’intéressée
ne pose aucune question .
La
bavarde n’en ajoute pas moins :
- Eh
oui! tu vas vouloir suivre ton
Riton dans sa première affectation . Vous aussi, Mme Inès, vous la regretterez,
pas vrai ? Une si bonne ouvrière.
Mme
Inès répond par un sourire.
Et
rien de plus.
Entre
commerçants, on se comprend sans parler. La boulangère ne retardera pas
davantage la patronne qui veut faire la pause de la mi-journée . .
Elle
paye et s’en va.
Peu
après, Riton et Simone sont assis face à face dans le petit restaurant du
quartier où ils ont leurs habitudes . Ils font grise mine .
SIMONE,
sur un ton faussement gai. - Mme Belmont te trouve beau . Elle a raison... Toi
en uniforme de gendarme et moi à ton bras, on ferait une belle image dans la presse pipole.
RITON,
même jeu . - Du genre Arthur avec ses top modèles, par exemple. Tu veux me faire
dire que tu es aussi jolie qu’elles ? D’accord . Et moi, est-ce que j’ai l’air aussi con que lui ?
SIMONE - Il faudrait le voir en gendarme !
(Changeant de ton . ) Je n’ai pas envie de plaisanter, Riton. Je t’en veux,
premièrement parce que tu m’as demandé de ne pas dire que tu avais été reçu à
ton concours, et deux!èmement parce que tu viens me chercher au salon sans
m’avoir prévenue.
RITON
- Ouais, j’ai été reçu, mais là où ça me conduit, j’y vais à reculons, et d’un . (Clignant de l’œil.) Quant au
deusio, c’est une surprise .
SIMONE,
mimant l’impatience en se frottant les mains pour détendre l’atmosphère. - Une
surprise, j’adore, dis vite .
RITON
- J’ai revu Lola .
SIMONE,
sourcils froncés . - Lola !...
RITON
- Ne fais pas cette tête là... Si tu te voyais, le nez pincé... Ton visage
bouge, comme hésitant entre le mépris, la jalousie, la rancune... Qu’est-ce que
tu vas chercher? On a été ensemble, Lola et moi, c’est vrai, mais ça fait un
bout de temps, et ce n’est pas parce qu’elle est mon ex que je n’ai plus le
droit de lui parler.
SIMONE
- C’est une mijaurée, une fille facile...
RITON
- Oh là, oh !... oh!... Elle a changé, elle s’est rangée des voitures, elle a
dégoté un petit vieux plein aux as ...
SIMONE
- Elle ne saura pas le garder, crois moi . Lola, sous ses airs de femme libre,
c’est une tête de linotte. Elle a tout pour réussir... Elle est belle, elle est
grande, elle est mince, elle peut manger de la cochonnaille, du chocolat, et
sucer des glaces à longueur de journée sans prendre un gramme, elle a tout pour réussir et qu’est-ce
qu’elle fait ?...
RITON
- Tu es bien placée pour le savoir, ma Simone, elle fait des shampooings dans
ton salon, le samedi . Les autres jours, elle est vendeuse ici ou là, mais bientôt elle n’en aura plus
besoin...
SIMONE
- Et comme il lui reste déjà du temps libre, elle a cherché à te revoir...
RITON
- Oui, ce matin elle m’attendait à la porte de ma boîte .
SIMONE
- Elle s’est levée de bonne heure pour ne pas te manquer...
RITON
- Exactement . (Un long silence.) Tu ne me demandes pas ce qu’elle me voulait .
SIMONE
- Non .
RITON
- Je vais te le dire quand même . En deux mots . En essayant de faire court .
Le mec de Lola, son pépère rupinos, c’est un grossium qui fait dans l’immobilier...
SIMONE
- Oui, c’est ce qu’elle dit au salon. Mais Mme Inès et moi, on pense que s’il
fallait compter sur lui pour avoir un appart...
RITON - Peu importe Simone, on n‘attend pas
de lui un logement ! Ce qui est sûr, c’est qu’étant bourré de fric, il s’est
mis en tête de produire un film . Ouais, un film de cinéma . Chez lui, sur la
Côte . Le titre reste à choisir mais l’intrigue est connue . Ce sera l’histoire
d’un perdant de la Star Ac qui rebondit et amorce une grande carrière...
SIMONE
- Qu’est-ce que tu racontes ? En quoi ça nous concerne ?
RITON
- J’y viens, m’y voilà . C’est bientôt Pâques . Après, c’est le festival de
Cannes, et le Jules à Lola -
Jules, c’est vraiment son blase, je te jure - il veut en profiter pour tourner.
SIMONE,
ironique. - Je sens en moi la passion monter, dis-moi bien tout , Riton.
RITON
- Ce Jules, il a paraît-il la haute main sur le casting de son film, et comme
Lola a la haute main sur lui, tu me suis ?...
SIMONE
- Non .
TONI
- Moi, toi, et aussi Toni, et son
pote le Caoua, on est tous engagés, si on veut...
SIMONE
- Premiers rôles ou intermittents ?
TONI -
Ne te moque pas ! Lola est emballée . Elle nous voit au premier rang des
figurants, avec parfois un mot à dire, faisant ce qu’on appelle de la
figuration intelligente...
SIMONE,
atterrée - Tu n’as pas accepté, tu n’as pas oublié...
RITON
- Non, non, je n’ai pas oublié notre voyage à Venise . Ton parrain nous prête
sa super bagnole, on ne va pas s’en priver ! Mais notre route passe par la
Côte, en plein moment du tournage... On ne va quand même pas demander à changer
les dates de notre congé ... On ne
fera que jeter un œil, avec un coucou aux copains d’autrefois...
SIMONE
- Un coucou, un coucou... Et rien de plus ? Je n’ai aucune envie de renouer...
de revivre... de rejouer à la famille tuyau de poêle...
RITON,
nostalgique - Ce n’était pas si mal, le Clan des Cinq
en vacances... (Il fredonne.) Y’avait Toni et son Caoua, y’avait Riton, y’avait
Lola, et puis Simone... comme dans la chanson de Montand.
SIMONE
- Basta !
RITON
- D’accord, d’accord... Rien qu’un coucou... On se contentera d’un coup d’œil
en passant... Avant de filer... Je prends tout en main, je m’occuperai de tout,
et, si ça ne marche pas, c’est moi qui porterai le chapeau...
SIMONE
- Je suis sûre qu’il t’ira très bien .
RITON
- Quoi ?
SIMONE,
réconciliée - Le chapeau . A condition que ce soit un chapeau de gendarme,
ovcorse .
(à
suivre)
Étonne - moi
- Eh !
Toni... c’est moi, fait-elle .
Les
passants continuent de passer avec des regards étonnés pour cette admiratrice
d’un musico qui n’en finit pas d’accorder son instrument .
- Je
suis venue exprès, Toni... poursuit Lola . J’ai appris pour le Mac Do et pour
Monique... Je savais que tu serais là...
Il
lève les yeux, sans dire un mot.
-
Pourquoi tu me regardes comme ça, l’air mauvais ?... demande-t-elle . Je serais
enceinte, tu me ferais faire une fausse-couche...
Les passants
tendent vaguement l’oreille . Certains s’approchent pour jeter une pièce dans
la casquette ou peut-être pour mieux entendre .
- Eh!
Toni, t’as pas envie de rigoler ?... Mon pauv’ vieux, j’en crois pas mes yeux,
t’es plus le drille que t’étais... Mais je vais te tirer de là... En souvenir
de nos bons moments... Je vais te faire oublier le Mac Do et la suite.. Il faut
que je te parle, Toni .
Alors
celui-ci choisit son ton le plus tragique pour répliquer :
- Moi
aussi il faut que je te parle .
Un
sinistre roulement de tonnerre au fin fond des galeries du métro aurait bien
mis en relief cette répartie, mais non .
Peu
après, Toni et Lola sont assis face à face à la terrasse d’un café de la place
du Châtelet.
Lola
attaque sa coupe de glace grand modèle. Toni se verse une bière en prenant soin de ne pas trop la faire
mousser.
LOLA -
Je te préviens, Toni, je vais t’étonner.
TONI -
Moins que moi .
LOLA -
Hein ? Moins que toi quoi ?
TONI -
Moi, je vais t’étonner davantage...
LOLA -
Ah bon !... Laisse-moi commencer... Je t’offre une belle semaine de vacances,
peut-être une quinzaine, sur la Côte, tous frais payés, voire plus si
affinités... Je vois que déjà tu as l’air moins grincheux...
TONI -
Je t’écoute, c’est déjà bien .
LOLA -
Jules, je t’en ai parlé, tu sais que c’est son vrai nom... (Souriante.) Mon
Jules donc finance un film qui raconte la fabuleuse histoire d’un certain Jimmy
sorti battu d’une Star Ac...
TONI -
Arrête, je vais pleurer...
LOLA -
Justement non !... A force de volonté et de rage, Jimmy finit par réussir .
C’est un film tonique, sur mesure, pour nous bouster nous les
jeunes...
TONI -
Et moi ?
LOLA -
Tu ferais partie de la bande à Jimmy . Ta place est garantie dans son sillage
comme figurant. Mais attends... Jules m’a dit : “S’il sait se montrer, il peut
être celui qui rappelle le rappeur que Jimmy était avant de se lancer”, tu me
suis...
TONI,
dubitatif - Je savais que ton proxo roulait dans le fric, n’empêche!... C’est
vrai que tu me la coupes... enfin,
un peu .
LOLA -
Attends, je ne t’ai pas tout dit... Ton Bamboula, et Riton, et Simone, feront
partie de la figuration... On va se payer une semaine
terrible
comme au temps du Clan des cinq... Tu te souviens ?
TONI -
Tu les as prévenus les autres?...
LOLA -
J’ai juste vu Riton, il est d’accord...
TONI -
Et mon p’tit Caoua ?...
LOLA -
Y demandera pas mieux, tu penses !...
TONI -
Tu ne lui as pas posé la question ?
LOLA -
Je ne l’ai pas vu...
TONI -
Menteuse .
(Un
long silence . Ils ne se quittent pas des yeux.)
LOLA,
riant. - Ah ! le petit con, ah ! ah ! ah ! Il a fallu qu’il s’en vante ! Et
auprès de toi ! (Redevenant sérieuse, sourcils froncés.) Tu sais
qu’il
me fatigue, Toni, ton protégé... Sous prétexte que je l’ai initié... A ta
demande, tu te rappelles... Il était d’après toi dans une telle détresse... Je
n’aurais jamais dû accepter... Depuis il fait sur moi une fixette... Il ne veut
pas comprendre que maintenant j’ai un homme, sérieux, qui m’a installée... Il
m’importune, Toni, il m’importune, ton Caoua...
TONI -
Je vois, tu as un cas de conscience. Mais monté comme il est, il sait te le
faire oublier...
LOLA -
Je ne te permets pas, Toni, même en tant qu’ex tu n’as pas le droit... Oui, ses
visites me gênent, ses exigences m’ennuient ...
TONI -
Des exigences, lesquelles ?... (Silence hostile de Lola.. ) Il veut que tu le suces ? Je sais que tu
n’aimes pas...
LOLA -
C’est vrai, j’aime pas le goût, et je lui ai dit qu’il y avait des putes pour
faire ça !
TONI -
Mais il n’a pas les moyens, il faut te mettre à sa place ma petite Lola !
(Haussement
d’épaules de Lola.)
TONI -
Peut-être même qu’il a voulu te flairer l’oignon, te lorgner l’œil de bronze
avec l’idée d’entrer par le petit guichet...
LOLA -
Tu m’as toujours dit que j’étais nunuche, Toni, tu sais parfaitement que je ne comprends rien à ces
cochonneries...
TONI
(avec un gros rire.) - Traduction : il est cap d’avoir essayé de te sodomiser,
ce petit con !
LOLA
(rougissante jusqu’à la racine des cheveux.) - Ah ! je vois ! je vois ! Il est
venu tout te raconter dans le détail, le moricaud, et voilà pourquoi tu
prétendais m’étonner...
TONI -
Tu n’y es pas du tout, Lola . Pour ce qui est de t’étonner, je n’ai pas encore
commencé, mais (l’œil vachard, la gueule en coin) je vais le
faire
et te dire ma façon de penser. Que le moricaud comme tu l’appelles ...
LOLA -
Sans méchanceté, Toni, tu sais bien que je ne suis pas raciste...
TONI -
Tu me laisses parler, oui ! Que mon Caoua te fasse grimper aux rideaux trois ou
quatre fois d’affilée, je trouve ça très sain . Que dans tout ça tu sauvegardes
la virginité de ton troufignon, je n’ai rien contre, ce n’est plus mon problème
. Mais que pour le bénéfice de tes petits orgasmes tu sacrifies la santé d’un
bel ado plein de vigueur, en pleine croissance... Salope que tu es !
LOLA -
Va moins vite, Toni, je te jure que je te suis plus... Quelle santé, la santé
de qui ?
TONI -
La tienne aussi d’ailleurs ?
LOLA -
La mienne ?
TONI -
Les yeux dans les yeux, Lola, ici et maintenant, dis-moi que tu te sens bien
dans ta culotte, que tu te sens propre dans ta culotte ?...
LOLA
(des larmes aux coins des paupières.) - Comment est-ce possible ? Comment as-tu pu deviner ?... C’est vrai...
c’est vrai que j’ai rendez-vous avec mon médecin dans moins d’une heure.
TONI -
Bamboula c’est déjà fait .
LOLA -
C’est lui qui m’a contaminé ce petit saloupiot !
TONI -
Mais pas du tout, n’essaie pas de te défiler ! C’est toi... Quoique, à la base,
le gros dégueulasse, c’est forcément ton Jules...
LOLA
(après un temps de réflexion, le front dans la main) - Impossible ! Si tu connaissais
Jules, tu comprendrais que c’est impossible ... Jules, c’est un bon pépère...
Il ressemble à Jugnot, en un peu moins frais... Il est marié, il a trois
enfants... Son fils aîné, qui a un an de plus
que
moi, finit son droit...
TONI -
Ouais, je vois, c’est un modèle de bourge, mais qui mène une double vie,
peut-être une triple, ou qui se paie des extras...
LOLA -
Impossible, il ne pense qu’à ses affaires ! A Antibes, il a son agence
principale et sa résidence familiale... A Paris, il a moi, et des parts dans
une grosse agence de la rue Rivoli...
TONI -
Et à Pigalle, qu’est-ce qu’il a ?
LOLA -
N’insiste pas, Toni, tu fais fausse route . Il a trop d’occupations et de
soucis, Jules, et... comment dire... C’est un homme... reposant, raisonnable...
pas porté outre mesure sur... Bref, le sexe, il aime, mais comme tout le monde,
moyennement...
TONI
- S’il a tant d’affaires en tête
et s’il est tellement couille molle, pourquoi il t’a draguée ? Où l’as-tu rencontré ?
LOLA -
Chez Jacadi, le spécialiste pour enfants . Il m’ a d’abord acheté une robe,
pour la fille d’un de ses clients . Il voulait du trois ans mais après
discussion je lui ai conseillé du quatre ans . Et puis je l’ai aidé à choisir
un Babar en peluche, on a plaisanté, et de fil en aiguille, discrètement, il
m’a invitée à dîner . Et... je te la fais courte... comme je l’avais retardé,
il m’a demandé le lendemain de lui rendre un service... Il m’a chargée de
porter à son client, un député-maire des Yvelines, la robe, le Babar et des
papiers qu’il devait lui remettre, des plans d’immeubles, des devis, des
factures ou je ne sais quoi... Je l’ai fait, ça crée des liens, ça nous a
rapprochés, et voilà...
TONI -
Et le sida, comment il entre dans le conte de fées?
LOLA,
qui blêmit - Le sida ?
TONI -
Je blague, Lola... Eh! tu n’vas pas tourner d’ l’œil ! Je blague... Mais fais
gaffe quand même !... Il s’agit d’une saloperie qui n’a pas pu te sauter comme
ça à la craquette parce que tu te serais assise avec ta mini-jupe sur un banc
sale... C’est moi qui te le dis , et, tu vas voir, le toubib confirmera.
LOLA -
Justement, y faut que j’y aille... Mais je te jure que je ne peux pas croire
que ce bon Jules... Et qu’est-ce qu’on va faire de sa proposition d’une semaine
sympa sur la Côte ?...
TONI -
On fait comme si de rien n’était.. Tu acceptes, mais d’abord tu te soignes...
Allez, file !
LOLA -
Tu crois qu’on se retrouvera les Cinq ensemble à Cannes, Toni ?...
TONI -
Et comment ! Ton Jules, je veux le mettre à l’amende... J’irai même plus loin
... Il va nous le payer cher, on va lui faire sa fête... Normal puisque ce sera le festival .
IVPaul ARRIEU, Casting d'enfer
2 - Le
geste auguste du semeur
L’humeur
à facettes de Lola
- Tu
as fait un bon voyage, mon Biquet ? lui demande-t-elle . Le TGV n’avait pas de
retard ?
Son
voyage s’est très bien passé . Il en a profité pour travailler . Il a classé
des papiers, il a mis en ordre des dossiers, en ce moment il est surbooké, pas
étonnant qu’il soit fatigué .
Il se
laisse tomber sur le coin du divan . Elle sort des verres et la bouteille de
Martini blanc, son apéro préféré. Il dégrafe deux boutons de son gilet . C’est vrai qu’il ressemble un
peu à Jugnot, surtout à cause de son alopécie et aussi de son regard de gros
malin, mais il est plus
ventripotent et ses joues commencent à jouer les bajoues.
- Moi
aussi, je ne sais pas ce que
j’ai... fait-elle. Les promotions sans doute... On a eu un monde fou... Je suis
sur les genoux.
- Ah!
ne me dis pas ça, mon Chabichou ! Moi qui avais justement un service à te
demander demain...
- Je
ferai tout ce que tu voudras, mon Biquet.
En
attendant, elle veut qu’il fasse honneur à ses petits fours . En rentrant du
travail, elle a fait le détour, pour les acheter chez Hédiard . Elle en a
profité pour choisir deux tranches de saumon fumé et un joli poulet de Loué .
Et surprise ! quand ils passent à table, elle lui explique qu’ils auront du
Gewurztraminer pour le poisson et du Gigondas pour la volaille, car elle a
préféré prendre deux demi-bouteilles afin d’avoir du blanc et du rouge plutôt qu’une seule grosse de blanc ou de
rouge. Et puis le Gigondas servira aussi pour le fromage, et le Gewur, s’il en
reste, pour la tarte aux fraises.
En conséquence de quoi, Jules ne peut faire moins que féliciter la parfaite
maîtresse de maison qu’il a, le fin cordon bleu .
- Tu
me gâtes tant, mon Chabichou, lui dit-il en reprenant de la tarte, tu es si
prévenante... Il faut que je t’installe mieux... Il faut absolument que je me
renseigne sur les réseaux de franchises...
-
C’est surtout la gérance d’un magasin Jacadi qui me plairait, fait Lola, mais
rien ne presse... Déjà tu es très gentil de nous inviter, moi et mes copains,
pour le festival et le tournage...
Pour
ce qui est du film, les premières prises ont commencé, les premiers rushes sont
prometteurs, Jimmy fera parler de lui dans le Landernau du
cinéma... De fait, Lola n’a qu’une hâte, c’est de passer au lit, afin de
satisfaire certaine curiosité qui la tenaille, mais d’un autre côté, elle ne
doit pas avoir l’air pressée, sinon il va croire qu’elle veut aller à la
bourre, et justement non, tout mais pas ça ! Elle lui demande :
-
Qu’est-ce que c’est le service que je peux te rendre demain, mon Biquet ?
-
Comme d’habitude, m’amour . J’aimerais que tu te rendes chez quelqu’un de ma
part...
- A Reuilly-sur-Seine,
je parie . A la mairie, chez le député-maire M. Thomas Derimel-Durand, comme la
semaine dernière .
- Eh !
oui... C’est avec lui que je suis en affaires en ce moment. Tu sais que je lui
ai trouvé une maison à côté de Monaco, au Cap-d’Ail... Superbe, pour une
bouchée de pain... Mais qui a besoin de gros travaux...
Ce
sont les plans de ces travaux que Jules veut soumettre à son client et pour
qu’ils ne s’égarent pas, soit à la poste soit dans les services de la mairie,
il tient à ce qu’on les lui remette en mains propres.
- Ils
sont si précieux ces plans ? s’étonne Lola .
- Tu
es toujours aussi curieuse mon Chabichou, plaisante Jules. Comment t’expliquer
? Les entreprises parisiennes que j’emploie par ici travaillent là-bas pour
Derimel... Nul n’a besoin de le savoir...
- Et
elles font le déplacement ces entreprises ! Pourquoi tu te décarcasses tant
pour ce bonhomme?
- Les
affaires, Lola !... Les affaires !... Rueilly est l’une des rares communes du
92 où il reste beaucoup de terrain à bâtir... Grâce à Derimel, c’est un
programme de cinq cents appartements que j’ai pu lancer dans de
bonnes conditions...
Les
affaires, voilà qui n’intéresse guère la demoiselle, sauf celles qui
concerneraient éventuellement les réseaux de franchises mais elle juge que le
moment n’est pas venu d’en reparler. Elle allume la télé... Déception ! Un
jeune prodige du cinéma français est bien l’invité de Sébastien Cauet, mais ce n’est pas Jimmy...
- Je
vais me déshabiller, dit-elle .
Elle
revient de la salle d’eau en pyjama .
- Oh !
s’exclame le pépère déçu, je t’aime mieux en nuisette.
Elle
fait la moue . Il ajoute, coquin :
- Ras
le bonbon, tu vois c’que je veux dire .
Elle
voit . Elle s’excuse .
- Mon
pauv’ chéri... J’suis désolée... Tu sais pas c’qui m’arrive... Y a des
mois... ça peut s’produire... J’ai
mes trucs, m’amour, j’ai mes lunes...
Le
Jules, débonnaire, la console, prenant la chose à la rigolade . Elle se couche
. Il se déshabille, tranquille, en pleine lumière . Il enfile son pyjaveste, le
laisse ouvert. Il tombe le slip . Il a la bite et les couilles au grand air,
qui ballottent, innocentes... Les yeux mi-clos, elle l’observe à travers ses
cils, pensant : “C’est pas possible, il va se mettre un slip propre, un tampon
quelconque, quelque chose...” Mais
non . Il se couche auprès d’elle, l’embrasse, lui souhaite de beaux rêves et
lui tourne le dos pour pioncer.
Va-t-elle
en rester là ?
Mille
sentiments l’oppressent, mille pensées la harcèlent, sans parler de son minou
qui la picote.
Encore
heureux qu’elle ait eu l’idée de ses histoires de
lune !
Mais
peut-être que lui est encore plus fort... Qu’il a eu l’idée d’une autre
comédie...
Il
faut qu’elle sache...
Elle
se plaque contre lui. Il grogne un peu . Il s’étonne . Ne lui a-t-elle pas dit
qu’elle était out ?
Sa
main glisse sur la hanche de Jules, sur son ventre si doux, si chaud, si
rebondi. Elle atteint le pubis. Ses doigts jouent un instant dans les poils .
Et, à pleine main, elle lui prend la bistouquette, le mot s’impose, Jules étant
très petitement monté. Puis, du plat du pouce, elle passe à plusieurs reprises
sur le bout de la chose, comme pour une caresse un peu spéciale, en vérité pour
essayer de détecter au moins un soupçon de suintement. Que nib ! Tout est
nickel, et pour tout dire, de plus en plus, pour ce qui est de la dureté de
l’objet de l’examen . Jules bande et gémit, mais surtout il bande, il bande
énormément. Sa bite, remarquablement menue au repos, devient, érigée, un
instrument très respectable .
Que
Lola respecte . Elle estime qu’il est de son devoir de lui faire cinq contre un
de la belle manière... Elle lui souffle à l’oreille :
- Tu
aimes, mon Biquet ? Laisse-moi
faire...
Et que
je t’étrangle le Popol, et que je t’astique la colonne...
- Tu
es trop gentille, Chabichou, y fallait pas...
Menteur,
va . Et que je te fais mousser...
-
Ououou-oui, ou-i, ou-i, je jou-is, je jouis!...
Elle
jette un œil . En vérité, ça
suinte, mais que du jus de cyclope tout ce qu’il y a de plus ordinaire, tout ce
qu’il y a de plus sain sur cette putain de planète ! . Pas la moindre trace suspecte, ni blanchâtre,
ni jaunâtre, ni verdâtre !... Et ce gros porc qui sourit, béat, candide,
heureux de son orgasme qu’il sent encore dans ses cuisses, dans son gros ventre,
dans toute sa graisse, et dans le dos, de la raie du cul jusqu’a la nuque ...
Sans le moindre picotement, lui, ce sagouin, sans la plus petite brûlure dans
sa bite redevenue toute petite...
Mais
Lola a tôt fait de se reprendre . Elle se reproche les mauvaises pensées qui
l’agitent, sa jalousie déplacée . Le sentiment de l’avoir accusé à tort lui
taraude le cœur . Chez Lola, le fond est bon. Le cerveau moins. Elle refuse de
pousser plus loin sa réflexion . Elle accepte en son for intérieur de laver son
Biquet de tout soupçon . Et symboliquement, elle attrape sur sa table de nuit
une lingette et lui nettoie le gland, tout en douceur...
- Je
vais quand même passer dans la salle d’eau, m’amour, décrète Jules, en
l’embrassant.
Ce
qu’il fait .
Quand
il revient, Lola dort déjà, comme un ange.
Faut
le mettre à l’amende
Ces
deux-là, ils ont tout pour ne pas s’entendre . Riton est grand, mince, viril
certes, mais avec des traits fins. Toni est beau gosse aussi, d’accord, mais
dans un autre genre . Pour ce qui est du caractère, ils ne se ressemblent pas
davantage. Toni est franc de collier, bavard, rigolard, lâchant parfois des
vannes pas trop légères bien qu’il soit rappeur, donc poète . Riton est intello
et pince sans rire.
Ils
sont copains d’enfance et d’adolescence, ce qui n’exclut pas les rivalités, bien au contraire.
La
preuve, voyez Simone, la belle, la sage Simone . On a peine à le croire, mais
c’est Toni qui l’a tirée le premier . En classe de troisième, à une époque où
elle croyait à l’avenir du rap parce qu’elle aimait Villon, la pléiade,
Gainsbourg, Rimbaud et Verlaine. Ensuite, elle a déchanté, mais comme elle est
sensuelle, elle s’est vite raccrochée à un autre, à Riton, et comme elle n’a
rien d’une butineuse, elle ne l’a plus lâché . Quant à Toni, il s’est consolé
en dépucelant Lola et quelques-unes de ses compagnes, ce qui lui était facile
en raison de sa solide constitution, de son peu de goût pour les études et de
son talent prometteur de musico .
Des
différences, des divergences donc, mais pas assez profondes pour interdire à
deux potes de se reparler quand une situation grave l’exige .
TONI -
J’ai voulu te rencontrer, c’est rapport à Lola...
RITON
- Je sais . Elle m‘en a touché deux mots, j’en ai parlé à Simone... Tu la
connais ... Un poil chichiteuse,
Simone, mais elle acceptera...
TONI -
Quoi ?
RITON
- Ben, les vacances à Cannes, le festival, le tournage, le clan des Cinq...
TONI -
C’est pas de vacances qu’il est question .
RITON
- Hein?... Alors de quoi?
TONI,
avec une torsion du nez, l’air finaud. - D’une enquête et d’un appel à la
justice, ça tombe bien que tu sois quasiment gendarme !
RITON,
mi-souriant, mi-sérieux - Fais pas chier avec ça, mec, sinon j’te mets un coup
de boule...
TONI - Te fâche pas ! La main sur le
cœur, Riton, j’te jure que pour
moi la gendarmerie c’est la moins pire de la famille poulaga...
RITON
- Ouais, te fatigue pas...
TONI -
Y a qu’une chose qui m’échappe, Riton... Avec ton bac plus deux, t’avais dégoté une bonne place dans
l’informatique...
RITON
- Tu parles !... Y m’ont foutu à la photocopieuse... J’y étais pour quarante
ans si j’m’étais pas bougé l’cul . J’avais autant de chances d’en sortir que
toi d’entrer à l’opéra comme guitariste...
TONI -
Sale con, message bien reçu... Je vois que t’apprécies toujours autant le rap
et les rappeurs...
RITON
- Y’a rappeur et rappeur...
TONI,
l’air vachard - C’est bon . J’suis pas venu pour la chicane, encore moins pour
la castagne... J’vais quand même te dire (Cherchant à avoir le dernier mot .)
j’vais te dire pourquoi on va avoir besoin de tes qualités de gendarme.
En
quelques mots bien sentis, il établit les bilans de santé de Lola et de
Bamboula . Conclusion : une enquête s’impose pour confondre le coupable.
TONI -
M’est avis qu’on est bons pour un déplacement, mon Riton... Faut battre le fer
pendant qu’il est chaud... Allons chez Lola, c’est à deux pas...
RITON - A cette heure-ci, avant l’embauche...
TONI -
L’embauche, tu t’en fous, t’es quasi gendarme. Allez, magne-toi, on y va, avec
un peu de veine on piégera au lit
le coucou semeur du mal .
RITON
- Qu’est-ce qu’on va leur dire?... Si c’est hier soir seulement que... que Lola
a mis son Jules devant ses responsabilités... on va entrer dans une
poudrière... Et pour faire quoi ?
TONI -
“Une poudrière”, d’accord, c’est toi qui as le mot juste, Riton . C’est toi qui
parles le mieux... A défaut de
gendarme tu aurais pu être avocat... Alors ça sera à toi de nous présenter...
comme potes de Lola... sans dire
qu’on l’a niquée l’un et l’autre en son temps... c’est pas la peine d’attiser
la fournaise... mais en le laissant entendre... tout en sous-entendus... pour
qu’il comprenne bien qu’on le sait, qu’il a trempé sa bite dans une moule
avariée, c’qui fait qu’il a foutu la castapiane à une brave gisquette comme
Lola sans parler de mon Caoua qu’est pour moi comme un p’tit frère...
RITON
- Tu crois qu’y faut parler de Bamboula ?
TONI -
Non, surtout pas, faisons pas tout sauter ! Il faut dire les choses sans les
dire, tout en insinuations... Lola sera là pour nous épauler...
RITON
- Dis voir, Toni, si tu devais le rencontrer sans moi ce mec, tu lui dirais
quoi, toi ?
TONI -
J’irais trop droit au but, du genre... P’tit Jules de merde, t’es un salaud, y
faut payer et, suivant la réaction, j’ajouterais : sinon je dis tout à ta femme,
et s’il faisait mine de s’en foutre, je lui mettrais la tête au carré.
RITON
- Et si je prends les choses en main avec plus de diplomatie on le met à
l’amende de combien?
TONI -
De quoi nous payer la semaine du festival dans le plus grand palace de Cannes,
tout compris.
La
mallette
Bamboula
sort du cagibi des poubelles et les rejoint . Il a les yeux gonflés, il est
frigorifié, tout tremblant de fièvre malgré les antibiotiques que le docteur
lui a ordonnés et qu’il a pris .
- Chez
moi, je pouvais pas dormir, explique-t-il. Je pensais qu’à me venger de ce sale
porc là-haut, qui m’a fait passer
sa chtouille . Je rêvais que je lui arrachais les tripes, que je lui enfonçais
j’n’sais quoi dans sa nusse, peut-être une hallebarde... Et surtout je voulais
revoir Lola ... Rien que la revoir, mais j’ai pas eu le courage de monter...
Riton
lance à Toni :
- Dis
à ton négro de la boucler et de s’casser, y nous retarde.
- Sale
raciste ! fait le môme.
- Mais
non, mon p’tit Caoua, tu connais Riton ! dit Toni . Il est pas comme ça, dans
le fond il a raison... On a une affaire à régler la haut, de toute urgence, et déjà la présence de Lola sera de
trop...
-
C’est pas Lola qui va beaucoup vous gêner, gémit Bambou, elle est partie aux aurores, l’air
pressée...
- Tu
lui as parlé ? demande Toni .
- Non,
répond le gamin, en s’adressant
ostensiblement à Toni, j’ai pas osé, j’ai eu peur de lui faire peur avec mon
envie d’étripailler son mec...
- 0n
monte ou non ? s’impatiente Riton, qui maintient bloquée la porte de
l’ascenseur.
- On y
va, décide Toni, en posant son bras sur l’épaule de Bamboula pour l’emmener
avec eux.
Ils
toquent, la porte s’ouvre . Jules est en bras de chemise . Étonné, il continue
de peigner, ou plus précisément de lustrer les poils ras et rares qui
couronnent sa calvitie.
- On
est des potes à Lola ! s’exclame Bamboula.
Toni
empoigne son frelot par son tricot dans le dos et le fait passer derrière lui.
- Ses
copains, enchaîne Riton .
Il
nomme chacun d’eux .
-
Soyez les bienvenus, fait Jules, Lola m’a parlé de vous, entrez .
Bamboula
échappe à Toni et se précipite dans le studio .
- Il
est impulsif, sourit le pépère, en invitant les deux autres à le suivre .
-
C’est vrai qu’il n’est pas très bien en ce moment... commence Toni.
Mais
Riton lui met un coup de coude dans les côtes pour lui faire comprendre qu’il
convient d’entamer les négociations moins abruptement.
Comme
il n’y a que trois chaises dans la pièce, le Titi négro s’installe sur le lit
qui n’est pas fait . Il en profite
pour soulever le drap du dessus afin de mieux examiner celui de dessous .
- Il
est curieux , note Jules .
- Je
cherche des taches... grogne le môme .
- Il
veut dire... des cartes de France... tente de suggérer Toni qui a compris, lui,
qu’il ne fallait rien brusquer.
-
Celle-là faut pas me la faire, Toni, ricane Bambou, le nez sous la couverte .
La carte de géographie, je sais c’que c’est, c’est la trace sur un drap quand
t’as juté avec une bite en bonne santé, mais moi c’est pas ces taches-là que je
cherche .
- Il
parle cru, ce jeune homme dit Jules sèchement, avec une grimace qui n’augure
rien de bon .
- Ah!
ces gamins d’aujourd’hui, soupire RIton . Celui-là en particulier... Moi-même,
je ne comprends pas toujours ce qu’il veut dire...
-
Mademoiselle Lola ne m’avait pas parlé de lui, laisse tomber le bonhomme .
-
Alors ça c’est la meilleure ! s’indigne le renifleur. Eh ! Riton, dis-y toi qu’on s’connait, Lola
et moi, et que même c’est pour ça qu’on est venu...
- De
fait ... commence Toni .
- De
fait... coupe Riton , Lola nous a parlé d’une gentille proposition que vous
souhaitiez nous faire.
- En
effet... en effet... A l’occasion du festival de Cannes, pour le tournage que
vous savez, je serais heureux de vous accueillir tous les deux...
Son
doigt désigne Riton et Toni .
-
Bande de cons, grogne Bamboula .
Furieux,
l’oublié, le rejeté quitte la pièce et va s’enfermer dans la salle d’eau .
- Il
faudrait prévoir pour nous un bon hôtel, attaque Toni, qui estime que les
préliminaires ont assez duré .
Jules
grimace, ne sachant sur quel pied danser .
- J’ai
entendu parler du Carlton , susurre Riton.
Jules
retrouve son sourire.
- Elle
est bien bonne, dit-il . Votre idée de mêler des apprentis figurants avec les
plus grandes vedettes internationales est à retenir...
- Je
ne plaisante pas, tranche Riton, sévère.
- On
se fout du prix des piaules, gronde Toni, vu qu’on a trouvé quelqu’un qui
paiera .
-
Parlons clair, propose Riton .
C’est
alors que le titi négro sort de la salle d’eau en criant non pas “eurêka” mais “j’ai trouvé”. Il brandit d’une main un plumeau et de
l’autre des tubes de cirage.
- A
poil ! A poil ! crie-t-il , en amorçant une danse du scalp autour de leur hôte.
Danse
inconvenante s’agissant d’un chauve.
Bref,
il veut lui passer la bite au noir, les couilles au rouge, et lui planter le
manche de son ustensile dans l’cul.
- Du
calme, mon Caoua, rigole Toni .
- Pas
de voie de fait , s’interpose Riton .
- La
nusse je sais pas si c’est une voie de fait mais c’est une voie naturelle et je
veux lui enfoncer ça profond, proteste en se tordant de rire le môme déchaîné .
Toni
réussit à le renvoyer dans la salle d’eau pour y ranger son matériel de
maquilleur vengeur.
Riton
se racle la gorge pour annoncer à Jules que le moment est venu de parler
sérieusement.
Le
foutu Caoua resurgit alors de la salle d’eau en traînant une valise . Il se
dirige vers Toni .
- T’as
vu le bagage du vioc, lui dit-il, le cuir, les roulettes, le luxe, la classe . Et dedans,
regarde, un ordinateur super... Et ça, je m’demande ?...
Il
tient entre ces mains une mallette, ce que voyant Jules bondit, et la lui
arrache, criant à l’adresse des deux autres :
- Il
n’a pas le droit, débarrassez-moi de cet énergumène ! Il est malade !...
Toni
fait mine de retenir son Caoua, mais celui-ci lui échappe et récupère la
mallette . Jules veut la lui reprendre, mais Riton l’en empêche, sous prétexte
d’éviter un malheur :
- Vous n’allez pas nous le tuer, Monsieur Jules, dit-il, c’est un ado, il est teigneux et plein de
défauts, mais c’est un ado, et vous l’avez bien dit, il est malade...
- ça
tombe bien que vous reconnaissiez que mon frangin est un énergumène malade, dit
Toni, il faut qu’on vous parle de
lui et de sa maladie...
- Vous
dites “frangin”, s’étonne le bonhomme, vous voulez dire “frère”... lui noir,
vous blanc ?...
-
C’est un peu spécial, s’interpose Riton, je vais tout vous expliquer...
Pendant
ces beaux discours, le Titi négro s’acharne vainement sur la mallette pour
essayer de l’ouvrir . La clé! il lui faut la clé, sans elle il n’y parviendra
pas . C’est alors qu’il repère la veste à pépère pendue au portemanteau sur
pied dans l’entrée . Il y va, s’en saisit, la secoue, ça cliquette... La plus
petite clé du trousseau est la bonne... Clic-clic... Il ouvre .
- Oh!
les mecs...
Il ne
peut en dire davantage, sa voix s’étrangle .
- Vous
n’avez pas le droit ! hurle Jules en se précipitant ver son bien .
En
même temps qu’ils le retiennent, Toni et Riton découvrent le trésor : des
billets de banque, rien que des grosses coupures, dans une valoche pleine à ras
bord .
TONI,
balbutiant . - Merde ! ça en fait du blé ...
RITON,
pesant de tout son poids sur les épaules de Jules pour l’asseoir .- On se calme
.
JULES
- Oh! mon Dieu... Je comprends
tout... Elle est votre complice... C’est elle l‘inspiratrice...
BAMBOULA
- De qui qu’y cause ?
JULES
- Qui l’eût cru ?... Avec ses petits airs d’oie blanche... Une petite traînée
que j’ai installée dans ses meubles
BAMBOULA
- Toni! Toni! tu l’entends ce
croulant? ça serait ti pas Lola qu’il attaque?
( Ce
disant, il élève la mallette au-dessus de la tête dudit vieux jeton mais Toni
l’arrête .)
TONI -
Un peu de respect, môme .
BAMBOULA
- Et lui, il a respecté Lola ?
TONI,
s’emparant de la mallette. - Un peu de respect pour l’argent .
RITON
- Parlons net .(Il détache ses mains des épaules de Jules afin de se placer
face à lui, penché vers lui, mains aux hanches, les yeux dans les yeux.) .Lola
n’est pas au courant de notre visite, vous me croyez ?
(Le
regard commente : “Dis oui, sinon j’t’en colle une dont tu te souviendras”.)
JULES
- Oui, oui... .
RITON
- Je ne sais pas si Lola baigne dans vos combines, mais ce qui est sûr, c’est
qu’elle ne nous en a jamais parlé, vous me croyez ?
JULES
- Oui, oui...
RITON
- Dernier point, nous étions venus vous mettre à l’amende. Eh bien, vous en
avez vous-même fixé le montant, on embarque la mallette .
JULES
- ça va pas, non!....
(Jules
se lève, Riton le rassied .)
BAMBOULA,
à Riton . - T’es trop cool, mec , trop cool ! Sors’y la bite, je vais rechercher le cirage...
RITON,
à Toni, sans quitter Jules de l’œil. - Tire moi ton négro des pattes et tâche
de le raisonner.
TONI -
Riton a bien parlé mon p’tit Caoua . Il n’a pas tort... Lola connaît les
tenants et les aboutissants de l’affaire, elle expliquera au monsieur le
pourquoi et le comment de l’amende...
JULES
- Une amende!... une amende!... Vous savez combien il y a dans cette mallette ?
RITON
- Dans les cinquante mille euros...
JULES
- Exactement, et vous comprendrez que pour une somme pareille, j’aurai
téléphoné aux flics avant que vous soyez sortis de l’ascenseur .
RITON
- Je n’en crois pas un mot, monsieur Jules. J’ai fait un stage dans une banque
où l’on m’a appris à flairer l’argent provenant de trafics et magouilles en
tous genres...
TONI,
qui n’aime pas perdre trop longtemps le leadership. - Bon, assez de parlotes,
les mecs On se casse .
La
mallette sous le bras, il se dirige vers la porte. Les deux autres le suivent.
Avant de sortir, le trio salue bien bas le pauvre Jules, sans oublier de lui
dire qu’ils espèrent le revoir
sous peu à Cannes.
Dans
la rue, le Titi négro traîne la savate derrière ses aînés . Soudain, se
ravisant, il les rejoint et les attaque:
- Vous
êtes que des lâches, des bouffons . Tout pour le fric, le fric, le fric...
Qu’un vieux jeton abuse de Lola, vous vous en foutez...
- Ta
gueule, réplique Toni .
Mais
pour adoucir l’injonction, il ouvre la jolie caisse et en sort un billet de
cinquante euros qu’il tend à son frelot . Celui-ci le refuse .
- T’as
tort de pas le prendre, dit Toni. J’te connais. Sous peu, t’auras plus la
chtouille, mais t’en continueras pas moins à être tracassé de ce côté-là . Avec
mon bifton, tu pourrais te payer une pute...
Toni
tient le billet à bout de bras . Bamboula hésite, puis saute et s’en empare .
Il ne
boude plus . Il a même envie de rigoler .
La
suggestion de Toni lui a fouetté l’imagination.
-
Quand je pense, délire-t-il, qu’avec cette petite valoche qu’a l’air de rien,
je pourrais m’en payer mille... Une petite valoche égale mille putes... autant
de vulves... le double de pattes en l’air et de nichons... Si je commençais par
les motor-homes du bois de Boulogne et autres camionnettes du bois de Vincennes, même si j’en visitais
trois par jour, il me faudrait
presque un an pour en venir à bout... Tu te rends compte, Toni, un an de partouzes... Le matin tu en tringles une, à midi une
aut’ te suce et le soir, avec la plus chaude, tu embrayes sur un 69 avant
qu’elle te fasse le grand jeu et toutes les positions du Kamasutra... Qu’est-ce
‘ t’en dis ?
Parlant
à Toni de son protégé, Riton note :
-
C’est vrai que c’est un énergumène .
- Il
est pas toujours comme ça, s’excuse Toni . C’est l’âge, et l’abstinence pour
cause de force majeure . Autrement, il a le cœur sur la main, et tu le verrais
sur un terrain de basket ...
-
Bof!... fait Riton .
Du
basket, Riton s’en tamponne . Pour lui, seule compte l’équipe de foot du PSG .
Au demeurant le trio arrive place de la République . C’est dans ce secteur que Riton a sa boîte, où il va
pointer avec une grosse heure de
retard . Il quitte ses compagnons d’équipée à l’entrée du métro .
- Je
te laisse la mallette, dit-il à Toni .
-
D’accord, fait Toni qui la porte sous le bras et n’a jamais eu l’intention de
s’en séparer .
Intuitif,
le Titi négro intervient, soupçonnant un brin de tension sous ces simples
propos :
- A
plus, Riton, on s’passera un coup de fil pour un rancard et décider de s’qu’on
fait du magot, pas vrai Toni?
- Bien
dit, l’énergumène, à plus Riton .
Sur
ces mots, prenant de son bras libre son frelot par les épaules, Toni
s’engouffre avec lui dans les profondeurs du métro.
L’autre
mallette
La
fois précédente, elle avait pris le taxi . Elle ne pouvait pas faire autrement,
à cause de la mallette, sachant pertinemment qu’elle contenait cinquante mille
euros . Est-ce l’importance de la somme qui avait déboussolé ce salopard, ce
dégueulasse, le député Thomas Durimel-Durand, maire de Rueilly-sur-Seine... Et
qui l’avait, elle, disons... fragilisée . Parce que, Lola, il ne faudrait pas
croire qu’elle est une fille facile... Elle a couché, d’accord, souvent... Mais
sa puberté, et même sa majorité, sont loin derrière elle, elle va bientôt coiffer la Sainte
Catherine, et le nombre de ceux qui ont réussi à se la faire, on peut presque
les compter tous sur les doigts des mains, avec ceux des pieds on en a de
trop... Et jamais, au grand
jamais, elle n’a effeuillé la marguerite le premier jour, sauf un soir, dans
une boîte, mais on l’avait droguée à l’insu de sa volonté . Autrement, jamais.
Cela
dit pour bien faire comprendre le caractère exceptionnel de la tournure prise
par les événements lors de sa première rencontre avec Durimel .
Maintenant
elle sort du RER. Avant d’arriver à la station, elle a repéré par la fenêtre l’arrêt
des bus. Faut reconnaître que le taxi s’est bien commode. D’un autre côté, elle
a économisé une jolie pincée d’euros . Et surtout, elle s’est donné du temps
pour établir un plan d’attaque... Mais qui n’est pas au point, alors qu’elle
est presque chez M. le maire.
L’autre
jour, je suis entrée dans son bureau... se souvient-elle . D’abord des
banalités... Le ton a changé quand je lui ai dit que je savais ce que contenait
la mallette... C’est vrai qu’il est bel homme, du genre Bill Clinton . Et je
vais vous dire, ma comparaison, elle est pile-poil, je serais moins stressée,
je me ferais rigoler . Abrégeons . De l’argent de la mallette, Durimel est
passé à une invitation à dîner dans un deux étoiles, disant que cela valait
bien une petite gâterie préalable, à consommer sur place . Puis il a gentiment, comme par
taquinerie, posé ma main sur sa
braguette pour que je sente qu’il bandait. C’est alors que, pensant à Bill
Clinton, je lui ai dit que je ne mangeais pas de ce pain-là, passez-moi l’expression, parce que je n’aime pas le goût et que
c’est une pratique de pute. Croyez-vous que ça l’a rebuté? Il a passé un coup
de fil pour demander qu’on ne le dérange pas . Et comme pour me féliciter de
mes principes, il m’a embrassée... Il a la main leste, le fripon... Il m’a
peloté le dos... les fesses... un peu devant... Flip!... Il a fait glisser mon
slip... J’ai dit non, ça oui, j’ai dit non... Il a quand même continué à
m’échauffer, à m’exciter, comme c’est pas permis!... Il m’a assise sur son bureau... Le maladroit! le souvenir,
s’il était sans tache, serait marrant ... Le sauvage ! dans sa hâte, il m’avait
posée trop en arrière... y pouvait pas faire entrer sa verge... alors y m’a ramenée sur le bord, et là,
ça a marché, c’était juste le bon emplacement pour favoriser ces resserrements
de mes parties intimes que je sais faire et qui font que je suis un bon coup si
j’en crois ce qu’on me dit.
A aucun moment, forcément, ni
avant, ni après, je n’ai examiné sa bite pour voir si elle était purulente !
C’est pas une chose qui se fait!, hein ! les filles ? J’ai bien le pouce habile
des nanas d’aujourd’hui, habituées au téléphone portable, mais ce n’est pas convenable de mettre sans
crier gare la main dans la braguette d’un monsieur pour prendre des nouvelles
de la santé de son zob.
Pourtant,
si je m’étais méfiée, surtout avant, j’aurais sans nul doute découvert des
traces suspectes . Car le semeur de merde, c’est lui.
Oui,
c’est lui le coupable, c’est indiscutable, et je vais lui dire son fait, et il
va voir comment une ingénue, une niaise, une oie blanche peut se transformer en
tigresse
Lola
descend du bus devant la mairie, qui est une belle bâtisse de briques, de style
second empire. Le bureau de Durimel est au premier . Le sachant, Lola va droit
vers l’escalier . Mais l’hôtesse à l’accueil la hèle pour lui demander ce
qu’elle cherche . Difficile de passer inaperçue . A l’étage, autre filtre, le
cabinet du maire, une pièce où deux matrones se détachent à regret de leur
ordinateur et l’interrogent avant
de l’orienter vers la pièce suivante, avec sur le visage une expression propre
à décourager son franc sourire et le mouvement décidé de sa jupe mini . Dans
l’antichambre enfin, une secrétaire assez jolie fille qui, elle, ne fait pas
semblant de ne pas la reconnaître : elle toque à la porte du maire ,
l’introduit et se retire.
Il est
là Thomas Durimel-Durand, debout derrière son bureau, penché en avant, les
mains en appui sur le rebord, mi-souriant, mi-inquiet .
DURIMEL
, d’une voix douce. - Bonjour, Lola .
LOLA ,
lui lançant à la face le paquet qu’elle porte.
- Les
voilà vos plans de votre villa de Monaco !
DURIMEL
- Tu te trompes Lola, il ne s’agit pas de Monaco...
LOLA,
criant . - Mais si!... Monaco ! Jules m’a dit Monaco... (Elle hurle.) Mo-na-co
! Pourquoi me mentir encore ! (Les larmes aux yeux.) Pourquoi toujours me
tromper, me salir !
DURIMEL
- Monaco si tu veux, Lola, le Cap d’Ail est à côté... (Quittant son bureau.)
Mais nous avons autre chose à nous dire, n’est-ce pas, Lola ma jolie, ma petite
folie...
LOLA -
N’approchez pas monsieur !... Monsieur le Maire ! Ne prenez pas ce ton tout sucre, tout miel... ça ne marche pas avec moi ! J’ai plein de
choses à vous reprocher ! Vous êtes un gros... un gros malhonnête, monsieur !
DURIMEL,
l’air grave, sourcils froncés. - Je plaide non coupable, Lola, laisse-moi
plaider ma cause... Le terme de
malhonnête ne convient pas...
LOLA -
Oh ! oh ! La prise de tête!...
Vous essayez de m’emberlificoter, monsieur, mais je ne marche plus ! Vous êtes
malhonnête, là preuve... la preuve...
DURIMEL
- Eh bien, quelle preuve ?
LOLA -
Ne serait-ce que la mallette de cinquante mille euros...
DURIMEL
(sévère) - Il s’agit d’affaires entre Jules et moi, Lola . Je croyais que tu
avais autre chose à me dire ?
LOLA -
Oui, j’ai autre chose! Parce que vous êtes, Monsieur, vous êtes, sous vos airs
à la Bill Clinton, vous êtes un gros... gros... je ne trouve pas le mot fort
qu’il me faudrait.
DURIMEL
- Je vais t’aider, Lola. Je suis coupable de t’avoir fait partager un petit
désagrément...
LOLA -
Un petit quoi ? Le docteur appelle ça une infection, ni plus ni moins, voilà !
DURIMEL
- Ouais... On parlait même autrefois de maladie honteuse... Mais nous ne sommes
plus au Moyen Age... Il n’y a plus de honte... Un brin d’étonnement peut-être...
LOLA -
Une chose est sûre, je ne demandais pas à... à partager, moi, monsieur !
DURIMEL
- Moi non plus, laisse-moi t’expliquer comment tout cela s’est enchaîné... Deux
jours avant notre rencontre, j’ai participé à un souper d’affaires, suivi d’une
soirée dans un club sélect, tous frais payés...
LOLA -
Et alors ?
DURIMEL
- Parmi ces frais, pour chaque participant, une escort-girl de première classe
avait été retenue...
LOLA -
Autrement dit une call-girl...
DURIMEL
- Non, non.. Plutôt une demoiselle
de compagnie, non dépourvue
d’allure et de culture...
LOLA ,
criant . - Et moi je dis une putain !
DURIMEL,
criant . - Ce n’était pas une putain ordinaire !
LOLA,
de plus en plus fort . - C’était une putain quand même ! Une vraie pute ! Une
sale pute ! Contaminée, gangrenée jusqu’à la moelle...
DURIMEL
- L’exagération dans les mots n’avance en rien nos affaires...
LOLA -
Quelles affaires ?...
DURIMEL
- Je plaide non-coupable, Lola, mais je reconnais que je suis responsable...
LOLA -
Salaud!... Alors tu le savais que tu avais chopé la mauvaise bactérie et tu as
quand même abusé de ma... de ma simplicité, de ma faiblesse... Tu m’as traitée comme une sous-pute!...
(ELLe éclate en sanglots.)
DURIMEL,
un bras sur ses épaules, lui parlant à l’oreille . - Non, non, ma jolie ! En veux-tu la preuve... Ma femme aussi... Je n’ai pas su
interpréter les premiers avertissements de Dame nature...
LOLA -
Quoi, ta femme ? Tu lui as... filé... (la recherche des mots la fait rire.) la chtouille ?...
DURIMEL
- Oui, ça t’amuse ?
LOLA -
Ta femme, non... Mais le chaud lapin que tu es, oui ...
DURIMEL
- Restons sérieux . Je suis
responsable, Lola, mais pas plus que toi si ce brave Jules est à son tour
touché...
LOLA -
Il ne le sera pas, Monsieur, car j’en tiens compte, moi, des avertissements de
Dame nature...
DURIMEL
- Parfait . Pour clore cet incident, je te rappelle, chère enfant, que je
t’avais promis un dîner dans un restaurant sortant de l’ordinaire . Mon
invitation tient toujours...
LOLA,
tapotant du doigt le rebord du bureau . - Pour me faire oublier votre attaque à
la cosaque?
DURIMEL
- Tu sais que tu es pleine d’esprit, toi, et si émouvante quand tu sèches tes
larmes, et si belle quand tu retrouves ton sourire . L’autre jour, c’est vrai,
nous avons cédé à une sorte d’emballement, disons-le, assez peu romantique,
quoique, dans cette ardeur, il y avait quelque chose qui tenait du coup de
foudre... Nous en reparlerons dans un autre endroit si tu veux.... Tu ne dis
plus rien ?
LOLA -
Non, mais je pense... Et je me dis que je suis venue pour me venger en vous
griffant comme une tigresse, au lieu de quoi je vous écoute...
DURIMEL
- Voilà ce que je te propose, Lola ? Il se fait tard, il faut qu’on se quitte,
mais compte sur moi pour te rappeler... Je te passe un coup de fil dès que nous
serons en meilleur état, et tu verras, tu ne seras pas déçue...
Monsieur
le maire raccompagne sa visiteuse jusqu’à la porte de son bureau . Avant de
sortir du secrétariat, elle se retourne et reçoit son dernier salut : un grand
geste du bras , celui du mousquetaire enlevant son chapeau, ou, si l’on
préfère, le geste auguste du semeur.
-
J’veux pas rentrer chez ma mère, lui à dit le môme, parce que, malgré qu’elle sait pas lire, elle va
deviner le pourquoi de mes médicaments, et je veux pas qu’elle sache...
- T’es
chiant ...
N’empêche
qu’il s’est laissé attendrir le mastard.
Riton,
lui, n’a pas quitté la Cité des Fleurs . A deux pas de chez ses parents, il a
trouvé une pièce au dernier étage d’un vieil immeuble . Mais pour prix de son
autonomie, il n’a ni l’eau courante ni les toilettes chez lui . Quand il veut
utiliser ces “commodités”, qui se
trouvent sur le palier, il doit tendre l’oreille pour s’assurer que quelqu’un
ne l’a pas devancé.
La
perspective de quitter ce médiocre logis pour une claire demeure dans une belle
gendarmerie devrait le réjouir . Il n’en est rien . Depuis qu’il sait qu’il a
réussi son concours, il est de mauvaise humeur . Ce soir en particulier . C’est
pourquoi il appelle Toni au téléphone .
-
Salut, lui dit-il, juste un mot : qu’est-ce que tu compte faire de la mallette
?
- Sois
tranquille, mec, elle est bien là, en toute sécurité, je vais dormir la joue
dessus.
-
Comme un voleur, laisse tomber Riton .
La
conversation s’interrompt, Bamboula voulant savoir ce que ses aînés se disent .
-
C’est sans rapport avec mon concours, reprend Riton, mais je t’avertis, je n’ai nullement l’intention de jouer
au gendarme et au voleur .
- Il
n’en est pas question, mon Riton, réplique Toni . Tu étais avec nous, tu sais
comme moi que le vioc, on l’a mis à l’amende, point barre, tu sais ce que c’est
qu’une amende.. .
- Sois
raisonnable, Toni . Cinquante mille euros!... Toi et moi, gamins, on a fait des conneries, soit... Mais on n’est pas des vrais voleurs
!...
Après
une longue discussion, les deux garçons tombent d’accord pour ne rien faire
avant d’avoir consulté Lola, qui leur dira comment Jules a pris leur équipée .
Avant
de fermer son portable, Riton demande :
- Et
ton p’tit moricaud, Toni, qu’est-ce qu’il en pense en fin de compte ?
- Il
te fait un doigt d’honneur, mon Riton, et il s’en donne la peine, s’il pouvait
te le mettre où je pense, il te
l’enfoncerait jusqu’aux oreilles.
Tu
sais pas tout
Simone
arrive la première, tout fraîche, toute mince, toute grande, toute belle . Elle
soutient la comparaison avec Lola, mais brille dans un genr fort différent . Son jean est sexy, mais c’est un
jean, son corsage bellement
échancré mais sur de la lingerie fine, son regard séducteur mais intimidant,
bref, un Durimel l’admirerait sans que l’idée lui vienne de la prendre pour la
poser sur le bord de son bureau .
Et
voici Lola, toute pimpante, le corsage déboutonné juste comme il faut, en mini,
en harmonie avec cette belle matinée de printemps, avec le rayon de soleil qui
entre avec elle dans le bistrot .
Elle
rejoint Simone, s’installe, lui sourit, mais Simone ne se départit pas de son
air sévère .
LOLA -
Ne perdons pas de temps, j’ai des tas de choses à te raconter .
SIMONE
- Je sais .
LOLA -
Non tu ne sais pas !
SIMONE
- Je sais que tu as eu tort de te mettre en ménage avec ce vieux de Cannes...
LOLA -
Mais je ne me suis pas mise en ménage !...
SIMONE
_ Tu as eu tort de t’acoquiner avec
ce vieux type, qui te loge gratis depuis bientôt un an, qui t’entretient...
LOLA -
Voyons, Simone, pas toi ! Je continue de travailler, avec toi!... dans cinq
minutes on sera au boulot ...
SIMONE
- Ce sale bonhomme, ce mec odieux, qui te fait des cadeaux ... (A l’oreille de
Lola.) avec en prime une maladie vénérienne, bravo ma fille !
LOLA,
accablée - C’est pas vrai !...
C’est pas lui!...
SIMONE
- Comment as-tu pu en venir à te faire entretenir par un vieux, de plus de
quarante ans, qui en plus d’être vieux est vicieux ! Un sagouin qui a femme,
enfants, maîtresse et qui va, dans les pires bouges sans doute, se
ramasser une saloperie qu’on ne trouve plus que dans les livres de médecine.
LOLA,
plaintive. - Ce n’est pas ça, tu ne sais pas tout !...
SIMONE
- Mais si je sais tout ! Qu’est-ce que tu crois ? (Avec un léger sourire.) Dans
le Clan des Cinq, on n’a pas de
secret ! Je suis au courant pour Bambou... Enfin quoi, ma Lola!... On en a
souvent parlé... Ce n’est pas le vice qui te pousse, j’en suis sûre... Ni même
la recherche du plaisir à tout prix... Mais tu n’as pas de principes ! Et
faut-il que tu sois ingénue, ma pauvre chérie, et légère, et frivole pour avoir
cédé une fois de plus à un ado comme lui, impulsif, au tempérament vraiment
spécial...
LOLA -
On voit que tu ne le connais pas !
SIMONE
- Mais si je le connais . Quand j’ai quitté Toni pour Riton, (Avec un sourire
complice .) quand on a fait l’échange, Toni pour toi, Riton pour moi, il a cru que j’étais une fille facile... Un
soir, au concert des Nuts, il s’est glissé derrière moi et il m’a pris les
seins à pleines mains ...
LOLA -
Tu l’as giflé ?
SIMONE
- Mais non, même pas . Je lui ai fait les gros yeux, c’est tout, c’est un
enfant... Le fond est bon . Il lui faudrait une copine sérieuse, ayant un peu
de poids, et de tempérament...
LOLA -
Comme toi !... Laisse-moi placer un mot, Simone ... Je ne t’ai pas demandé de
venir pour te parler de Bamboula...
SIMONE
- Je sais .Et j’ai accepté ton rendez-vous parce que je suis entièrement
d’accord avec toi au sujet de la mallette . Je me doute que ton mironton
de Cannes a poussé les hauts cris quand tu es rentrée ? Normal... Ce vieux birbe a
beau être le dernier des dégueulasses pour t’avoir fait ce qu’il t’a fait, on
n’a pas le droit de le voler . Un vol, c’est un vol . Et je l’ai dit à Riton .
Ou vous rendez la mallette à ce salopard ou je te quitte, Riton, à toi de
convaincre Toni...
LOLA -
Il lui ont présenté la chose comme une amende ...
SIMONE
- Je sais .
LOLA -
Non tu ne sais pas ! Jules ne méritait pas cette amende, voilà !
SIMONE
- La question ne se pose pas comme ça ! Un vol est un vol, même si le volé est lui même un voleur
en plus d’être un sagouin...
LOLA -
Il est ce qu’il est mais ce n’est pas lui qui m’a contaminée .
SIMONE
- Hein ?
LOLA -
Tu vois, tu sais pas tout...
SIMONE
- Comment ce n’est pas lui ? Alors c’est le petit Caoua, qui n’a jamais un sou
vaillant ?...
LOLA -
Ce n’est pas Bamboula.
SIMONE
- Ne me dis pas qu’en plus de ton séducteur de la Côte, en plus de notre chaud
lapin, et en même temps, tu... tu ...
Mais
si, mais si, elle va tout lui dire . Avec quelques larmes aux coins des cils,
soutenue par les douces pressions sur son bras d’une main de son amie, elle lui
raconte sans rien lui cacher ses deux rencontres avec M. Thomas Durimel-Durand
.
Abus
de biens sociaux
Ce
soir, Riton attend ses potes à la terrasse d’un café en buvant une bière et en
se disant bêtement que c’est là un bon entraînement au métier de gendarme .
Ancun autre souci ne l’agite : il a pris l’avis de Simone, son choix est fait,
il a décidé de rendre la mallette à Jules . Toni sera prié de la lui remettre ou de la rapporter à son
propriétaire .
Et
voilà Toni qui s’amène, immense, le nez toujours aussi torve, la guitare en bandoulière,
un journal sous le bras, flanqué
de son Caoua .
Tous
deux s’asseyent et commandent des pastis .
Toni
étale sur la table son journal
Bamboula
le tapote d’un doigt .
- Le
pastis, c’est pour nous préparer à notre voyage dans le midi, sur la Côte, commente
Toni, en mettant sous les yeux de Riton le gros titre qui annonce la prochaine
ouverture du festival de Cannes .
RITON
- Je vois... Mais il faut d’abord qu’on se parle . Il faut rendre la
mallette...
TONI -
Niet, que nib!...
BAMBOULA
- Peau de bite et balai de crin, oui !...
RITON
- Il faut penser à Lola ...
TONI -
Lola m’a encore cassé les couilles toute la journée au téléphone avec ça : que
son Jules veut la foutre à la porte de chez elle, et lui couper les vivres, et
la ruiner de réputation auprès de ses employeurs, prétextant que ses potes sont
de la racaille, prétendant qu’une amende n’a pas de sens .
RITON
- Son Jules a raison, il n’a pas la chaude-lance, lui . L’arroseur, c’est pas lui...
TONI -
On est au parfum... .
BAMBOULA
- Même qu’ y aurait beaucoup à
dire, vu que, Lola... voilà une nana qui, des fois, fait la chichiteuse avec
moi... et elle va se farcir un mâle de la haute en banlieue... Je regrette de
pas avoir les moyens de me payer un portable, elle m’aurait entendu ...
RITON
- Toni !
TONI -
Ouais...
RITON
- Dis à ton moricaud de la boucler, sinon je vais être obligé de lui claquer la
gueule .
TONI -
T’as raison, Riton . Il est temps
de passer aux choses sérieuses. Tiens, Bambou, ouvre le journal, page cinq,
faits divers, qu’est-ce que tu lis ?
BAMBOULA,
un doigt sur le journal . - C’est là ! (Lisant) Abus de biens sociaux....
Na-na-na-na... Le député-maire Thomas Durimel-Durand... (Cessant de lire.)
C’est lui le salaud, ce gros porc... (Reprenant sa lecture.) na-na-na... déjà
condamné... na-na-na... et pourtant réélu...
TONI -
C’est plus loin, plus bas .
BAMBOULA
- à nouveau inquiété... interpellé... mis en examen... na-na-na... des
perquisitions à son domicile et dans son bureau de la mairie... des dossiers
compromettants...
TONI -
C’est là, lis lentement, qu’on savoure, mon p’tit Caoua...
BAMBOULA
- des dossiers... na-na... et une mystérieuse mallette contenant cinquante
mille euros .
RITON
- Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est notre mallette ?...
TONI,
rigolard. - Eh! mec, tu as dit
“notre” sans que je te force !... Mais non, c’est pas la nôtre !
BAMBOULA
- Le Jules à Lola, c’est un grand distributeur de cachetons... Depuis huit mois
qu’y sont à la colle, Lola en a vu passer quatre, des mallettes...
elle en a livré deux, la nôtre, c’est la cinquième.
TONI -
Et cette cinquième, on a intérêt à la garder, pour protéger Lola, si l’enquête s’intéresse à celle qui a
porté le mystérieux magot...
BAMBOULA
- Et aussi pour punir son proxo de l’avoir mise en danger...
TONI -
Pour avoir barre sur lui, comprends-tu, Riton, pour qu’il ne la charge pas au
cas où... C’est peut-être une grosse affaire qui commence .
RITON
, revenant à la première page du journal . - Nous voilà loin du festival ...
TONI -
Au contraire.
BAMBOULA
- On va faire savoir à Jules qu’on est prêt à lui rendre son précieux pacson,
mais sur place, à Cannes...
TONI,
pointant du doigt Bamboula. - C’est lui qu’y a pensé! Tu es malin comme un singe, mon Caoua...
RITON
- J’suis d’accord pour la comparaison .
BAMBOULA,
riboulant des prunelles . - Fais gaffe, Riton, j’suis moins con que j’en ai
l’air, j’connais la vanne, j’ai vu les singes du Parc des Princes ...
TONI -
Laisse tomber, môme ! Si j’me gratte sous les bras en te regardant, tu vas
quand même pas monter sur tes grands chevaux !
BAMBOULA
- Oui, mais toi c’est pas pareil...
RITON
- On en était à la restitution de la mallette ...
BAMBOULA
- On y mettra des conditions .
TONI, s’adressant à Bamboula . - La première
?
BAMBOULA
- ça aura lieu à Cannes .
TONI -
La deuxième .
BAMBOULA
- A Cannes, où Jules nous reçoit et nous loge, le Clan des cinq au grand
complet .
TONI -
La troisième .
BAMBOULA
- Il tient sa promesse de nous faire engager parmi les figurants les plus en
vue dans le film de Jimmy .
TONI -
La quatrième .
BAMBOULA
- Il nous permet de puiser dans la cassette pour couvrir nos faux frais...
RITON,
pour mettre un terme à leur petite comédie . - Et la cinquiéme ? Il doit nous
dire gentiment merci quand on lui rend le reste, s’il y a un reste .
TONI -
Une chose est sûre : il a fait une grosse colère, le pépère, mais il a pas
porté plainte contre nous ... Il est pas net .
BAMBOULA,
un doigt sur le journal . - Ce Durimel, cet affreux de la haute qu’on a mis au
placard, y tombe pile-poil . Parce
que Jules, ça l’infériorise.
TONI,
à Riton. - C’est lui, Jules, qui
demande à nous rencontrer... Il a chargé Lola de nous le faire savoir... Il
insiste... Il arrête pas de la relancer au téléphone, parce qu’il a dû repartir, il est là-bas, où il a femme et
enfants...
RITON
- Ouais, je vois, alors je suis d’accord . Si c’est lui qui nous appelle, comme
on a tous pris nos dispositions pour être libres la semaine du festival,
allons-y.
TONI, tapant la main de Riton . - Bravo, mec
!
BAMBOULA
, tapant les mains de Riton et de
Toni .- Bravo ! Et aussi bravo, parce que les médicaments que j’ai pris ont
fait de l’effet . Je vais me retrouver en pleine forme là-bas...
TONI,
rigolard . - Ouais, mais là-bas, on n’apprécie pas bézef les p’tits mecs qui
sont juste bons à s’faire glouglouter le
poireau en suisse ...
BAMBOULA
- Déconne pas, Toni, sinon Riton va me prendre pour un autre, parce que, comme
de juste, je demande qu’à faire mes preuves autrement, moi, ne serait-ce qu’en priant Lola de me
donner une revanche, elle me doit bien ça !
RITON
- ça promet ! (A Toni, en désignant le Titi négro .) Si t’arrives pas à le
tenir en laisse, de quoi on aura l’air sur la Croisette ?
- Le
salingue, c’est lui qui va pousser sa pointe, cochon de vieille croûte, c’est
lui qui va godiller, sale viocard vicieux, qui va profiter de ce qu’elle est
guérie, saine comme un beau fruit, toute belle, toute fraîche, toute chaude, et
moi je dis qu’avec lui a mouillera même pas ...
-
Tandis qu’avec toi elle inonde ovcorse... rigolait Riton.
- T’as
tort de faire une fixette sur Lola, môme, pense plutôt au film, et à tous ces p’tits culs des
pépées du casting, lui conseillait Toni .
-
Assez d’insanités ! grondait Simone . La Côte d’Azur pourrait tout de même vous inspirer autre chose!
Agrémenté
de ses menus propos et de quelques autres du même tonneau, le voyage en TGV
s’est très bien passé .
Lola
les attend à la gare, les accueille, les embrasse, les embarque dans un taxi .
La
grosse surprise, c’est à la descente du taxi . Elle les a conduit dans un
camping . C’est tout ce qu’elle a trouvé... Elle n’a pas pu faire mieux . Elle
s’en est pourtant donné la peine . Et Jules lui a donné toute latitude, sans
lésiner sur les moyens . Il n’y est pour rien, Jules . Ce n’est pas sa faute .
C’est tous les ans pareil . En plus, cette année, y a le film de Jimmy . Dans
les hôpitaux, on met des lits dans les couloirs, mais pas dans les hôtels, pas à Cannes en tout cas . Au
demeurant, attention ! C’est l’un des plus beaux terrains de la région, l’un
des plus proches de la Croisette ... Et même ici, le places son rares ... Elle
aurait voulu deux mobile homes . Elle n’a pu en obtenir qu’un .
Ils
arrivent à cette caravane . Lola a la clé . C’est propre, complet, kitchenette,
ensemble banquette- table transformable en grand lit...
- Pour
cinq, trois mecs et deux nanas, ça va être juste, rigole Bamboula, imaginant on
ne sait quels ébats .
-
C’est pour deux, réplique Lola, suivez-moi .
Elle
les emmène un peu plus loin, les fait entrer dans une grande tente .
- Un
auvent, deux chambres, commente-t-elle.
Que
dire d’autre de cette maison de toile ?
-
Ouais, fait Toni, de toute manière, on n’est pas venu pour dormir, voyons
comment on se partage ?
- Honneur
aux dames, sourit galamment le futur gendarme, la caravane sera pour elles .
-
C’est que ... commence Lola, je serais heureuse si Simone voulait bien loger
avec moi, ce serait possible, c’est possible, avec toutefois quelques
inconvénients...
La mignonne
bredouille un peu, gênée d’avoir à exposer que, pour elle, grâce à ses relations, Jules a obtenu une
chambre, dans un bel établissement, le Meynadier, qui mérite presque, mais oui,
le nom de palace, où elle aimerait accueillir sa copine d’enfance et de tant de
souvenirs, ce qui ne pose aucun
problème, si ce n’est que, bien sûr, Jules n’y passera jamais la nuit, ayant
femme et enfants, mais de temps en temps, oh! pas souvent, elle le connaît,
guère plus d’une fois dans la semaine, il voudra s’entretenir avec elle en
particulier, dans ces conditions comment demander sans honte, sans rougir, à
son amie, d’être assez gentille pour aller passer une heure dans les salons .
-
C’est clair ! s’exclame méchamment Bamboula, elle prive Simone de palace pour
pouvoir pinocher à l’aise avec son vioc !
- Tu
n’as pas le droit, Bambou ! pas toi ! fait Lola, la larme à l’oœil .
- Moi
je te comprends, Lola, s’interpose Simone, en la prenant par les épaules . Tu
as des obligations envers cet homme, et ce n’est pas moi qui vais te compliquer
la vie . Je reste ici, avec les autres ...
- Bon,
ben... m’est avis que de baratin en jérémiades, on a assez bavasser, tranche Toni . Que Lola garde son
palace pour elle, on ira quand même lui dire bonjour, ça nous permettra de
flairer l’air des festivaliers . Le super bahut pour camping de luxe sera pour
Riton et Simone, un futur gendarme et sa dame, on peut pas faire moins. Moi et
mon Caoua, on aura la guitoune...
Et
voilà pour ceux qui se demandaient qui est le chef de cette fine équipe . On
s’en doutait déjà, que c’était le
mastard, mais ça se confirme.
-
Ouais... grogne Bamboula .
-
Quoi, ouais ? fait Toni . ça avancera ton éducation, môme, vu que, si t‘en
ramène un sous ta toile...
- Un
quoi ?
- Eh
ben, un p’tit cul du casting...
- Eh
ben ?
- Eh
ben, faudra apprendre a t’en servir dans la discrétion, sans soulever la toile
en tempête, de même que, cette nuit, si l’envie te prend de te palucher, faudra
éviter de secouer le mur de ma chambre d’à côté...
Sur un
rappel à l’ordre de Simone, que ces inepties chiffonnent, les Cinq quittent le
camp pour aller se refaire une santé dans un bistrot voisin de l’Hôtel
Meynadier, le palace où crèche Lola .
Après
le casse-graine, visite du palace 3 étoiles de Lola, bar, restaurant, jardin,
piscine, suivie d’un petit tour du côté du Palais où les prix seront décernés
aux gagnants du festival, un coup d’œil en passant aux fameuses marches du
fameux escalier, puis longue promenade sur le boulevard de la Croisette,
jusqu’à la pointe de la Croisette .
En
contrebas, sur les quais du port
Canto, on installe de vastes tentes blanches . C’est là que demain, de bon
matin, commenceront les choses sérieuses, les épreuves du casting .
Partouse
manquée
Jimmy
a gagné la Star Ac . Hélas, son premier CD a fait un flop retentissant . Sentimentalement
parlant, une rupture a achevé de le terrasser . Il est sauvé grâce à deux rencontres : celle d’un
auteur-compositeur qui lui permet d’exploiter toutes les ressources de sa voix,
celle d’Angèle, top-modèle, naïve et douce, mais non dénuée de caractère, et
fort habile à trouver le chemin de son cœur .
Ils
sont au moins deux cents, peut-être trois, les garçons et les filles candidats
à la sélection des figurants . Les Cinq n’ont à présenter, pour tout
laissez-passer prioritaire, qu’un carton de Jules, portant leurs noms, et
destiné à un certain Monsieur Paul . Ce personnage n’est même pas connu du
malabar qui garde l’entrée de la première tente . A l’entrée de la seconde, on
les envoie dans la troisième . Monsieur Paul les y reçoit enfin .
- Ah !
oui, fait-il, de la part de Monsieur Jules, d’accord, je me souviens ... Mettez-vous là ...
Les
arrivants rejoignent un groupe d’une vingtaine de garçons et de filles . Un mec
en chemise à fleurs, genre branché festivalier ou cinéma d’avant-garde, vient leur
expliquer ce qu’on attend d’eux . Ils seront le public de Jimmy renaissant . A
chacun de montrer comment il sait danser sur place, se trémousser, acclamer, hurler sa joie, défaillir d’enthousiasme... Le mec va les recevoir un à un .
Toni a
beau tapoter le dos de sa guitare avec la carte de Jules, il ne parvient pas à
retenir son attention . C’est alors qu’intervient un signe du destin .
Une
femme entre dans la tente, l’air tragique, bras levés pour imposer le silence :
- Y
a-t-il une coiffeuse parmi vous ?
Son
ton est celui de quelqu’un qui demanderait un médecin pour soigner un
épanchement de synovie de Zizou ou une rupture d’anévrisme du Président .
Simone
hésite, Riton la retient, Toni la pousse, Bamboula aussi, au sens propre, les
deux mains sur les fesses.
- Moi,
dit-elle .
-
C’est pour Angèle, vient chuchoter la femme à son oreille. Sa coiffeuse a
manqué l’avion. Fruteau, monsieur Fruteau, le réalisateur, ne supporte pas une
minute de retard... Ah! si vous le connaissiez !... Venez vite...
-
C’est à dire que... nous sommes
là, cinq amis, nous n’avons pas auditionné...
-
Cinq, eh bien, vous êtes retenus
tous les cinq, j’en fais mon affaire, venez .
On
change de tente . Dans la suivante, des cabines ont été aménagées pour le
maquillage des artistes Rien n’y manque . Simone a tôt fait de retrouver le
sourire et les gestes d’une parfaite professionnelle.
Pendant
ce temps, les garçons s’intéressent aux trois ou quatre demoiselles du premier
cercle de ceux qui entourent l’héroïne du film . L’une d’elle est mignonne à
ravir . Pour le port de la minijupe, elle vaut Lola, et pour le haut, elle la bat, ayant jeté aux orties son soutien-doudounes, au profit d’un émouvant ballottement. Elle s’appelle Clarisse.
On rit, on papote . Riton fait l’intéressant,
étant l’ami de la coiffeuse . Toni expose qu’il lui faudrait rencontrer, comme
Jimmy, un auteur un peu génial
pour renforcer ses propres textes . Clarisse veut bien parler de ses seins si beaux, qui sont ceux
choisis par la production . Bamboula ne comprend pas . On lui explique . Dans
les scènes érotiques -il en faut, il y en a dans Le Rebondissement- les nichons
qu’on verra en gros plan sont ceux de Clarisse, plus ronds que ceux d’Angèle . De même les fesses . La chute
des reins d’Angèle laisse à désirer . Le cul de la production s’appelle Chloé.
Un peu bégueule au premier abord, Chloé ne résiste pas aux vannes de Toni, au
ton pince-sans-rire de Riton. Quant à Bamboula, il amuse les nanas sans rien
dire, tant y riboule des calots
pas possible...
- Eh!
les filles, fait Riton, allez-y molo avec notre Caoua, vous lui mettez trop la
pression...
Clarisse,
Chloé, et deux autres donzelles qui sont là parce qu’elles font dans le
mannequinat avec Angèle, s’étonnent .
- Y a
c’que vous dites de vous, les filles, enchaîne Toni, y a c’que vous laissez
entrevoir de vos avantages, mais y a surtout que mon Bamboula, c’est un
imaginatif... Alors y bande . Hein que tu bandes, mon Caoua ?...
- Ben
oui , répond le môme, mains
croisées sur la protubérance qui déforme son jean. .
- Y
dit toujours “oui”, note Toni, vous allez voir pourquoi, les filles . Allez,
Bambou, raconte le phénomène que t’es...
Le
Titi négro ne se fait pas prier,
sachant que son histoire est
bonne, et se souvenant des leçons de Toni, à savoir que les gonzesses, avant de
se les farcir, faut les faire rire .
-
C’était la première fois que je livrais des pizzas... se souvient-il . J’arrive
dans un immeuble rupin, chez une bourge, une belle forte femme, gironde et
tout, en peignoir entrouvert, et qu’est-ce que j’aperçois, je vous jure que
c’est vrai, les poils de sa chatte...
-
C’est tout lui, glousse Lola, il est comme ça .
- Ce
que c’est que d’être timide, plaisante Clarisse, ça fait baisser les yeux .
- Les
yeux, oui, mais ça n’empêche pas de lever la queue, rigole Toni
- Je
sais pas quelle mine je faisais, reprend le môme, mais la dame m’a demandé ce que j’avais . J’ai rien répondu
. Elle aussi a baissé les yeux . Mais pas de timidité . Elle a dit avec un faux
air étonné : “Mais c’est qu’il bande, ce petit con, oh !” Elle m’a demandé : “
N’est-ce pas que tu bandes?” J’ai
dit :”Oui madame”, pas un mot de plus .
-
Comment as-tu osé? fait mine de s’indigner Lola, c’est pas des choses à dire...
-
J’avais encore la pizza dans les mains, poursuit Bamboula, ce qui fait que je
n’ai pas vu ce qui se passait dessous... Elle s’est rapprochée, j’ai senti
qu’on tirait ma ceinture, qu’on plongeait le long de mon ventre et qu’on
m’empoignait ferme pour me faire entrer dans la maison ...
- Voyez l’énergumène !... commente Riton
.
L’énergumène
se tait, fiérot.
- La
suite, la suite!... réclament Clarisse, Chloé et les deux top-modèles
rigolardes .
- La
suite, c’est une grosse grosse surprise... laisse entendre Toni .
- Quel
genre de surprise ? dit Chloé .
-
Pourquoi “grosse, grosse” ? fait Clarisse
- Vous
le saurez ce soir, si vous voulez, propose Toni . Venez donc prendre un verre
au Meynadier, où nous sommes descendus...
Le
mastard a frappé juste . La réputation de l’hôtel Meynadier, ça les émoustille,
les filles . Le Meynadier, c’est presque le Carlton ou le Martinez . On s’y
frotte à du beau linge . Clarisse croit même que Julia Roberts y a réservé une
suite .
Lola
doit reconnaître que sa chambre, une vaste chambre double, n’est pas mal . On y
sablera le champagne pour faire plus ample connaissance .
Eh
bien, non!
Quand
le destin s’en mèle, c’est pas croyable comme les choses s’arrangent, et
s’accélèrent . Voilà que les compagnes en mannequinat d’Angèle se souviennent
qu’elle doivent, ce soir, encadrer l’héroïne du Rebondissement, lors d’une
cérémonie . Et voici que Simone est aussi recrutée pour la recoiffer, la
coiffeuse officielle, qui a beaucoup contrarié le réalisateur, ayant été
dispensée de prendre l’avion suivant .
Tant
pis, tant pis ! D'ailleurs, six gonzesses pour trois mecs, ça aurait
cloché, ça manquait d’équilibre
pour une belle jeunesse ennemie de la débauche autant que de l’orgie, du stupre
ou de la luxure .
Mais
trois artistes chauds de la pointe, face à la reine des chutes de reins, à la
plus belle paire de tétons de la Côte et à une Lola survoltée par l’émulation,
quelle fine partie en perspective !
A l’issue de cette
réunion matutinale, Toni, toujours aussi vigilant et
chargé de commisération, dit à Bamboula :
- Un
conseil, mon Caoua, sache être patient, ne va pas t’étrangler le zob toute la
journée dans les WC, ce soir, faudra que t’assumes .
Hélas
! six fois hélas, la belle partie hexagonale n’aura pas lieu non plus .Et pourquoi? Parce que le vioc à
Lola, l’affreux métèque, le Jules abhorré, à décidé de sacrifier femme et
enfants pour passer la soirée, dans la ville même où vit sa famille, à deux pas
de chez lui, avec sa jeune
maîtresse . Si c’est pas honteux!...
Riton
et Toni, ça les a sciés . Et tenus éloignés de l’hôtel Meynadier, ainsi que
Simone et que Bamboula, car ils ne veulent pas rencontrer Jules, leur réflexion
concernant la restitution de la mallette n’étant pas assez mûre.
Lola
reçoit Clarisse et Chloé dans sa chambre . Leur explique brièvement la situation . Déception des
visiteuses . Le palace ne pouvant les accueillir, les belles n’ont aucune envie
d’aller à la découverte d’un terrain de camping au clair de lune. Elles ne sont
pas venues à Cannes pour engager leur capital dans de pareils endroits . Elles
regagnent leur Auberge de la Jeunesse . C’est ce que Lola est venue rapporter à
ses potes, installés à la terrasse d’une brasserie du boulevard de la
Croisette.
Bamboula,
pour faire son malin, l’attaque en premier . Attaque foudroyante, en piqué .
BAMBOULA
- Eh, Lola, tu sais comment on t’appelle dans les journaux ? La Putain de Monaco .
RITON
- Écoute, Toni, dis à ton moricaud
de s’écraser ou je lui mets un pain .
TONI -
Bof, c’est pas méchamment dit, faut pas le prendre mal, Lola...
LOLA -
Quand même j’aimerais comprendre, j’ai pas beaucoup de temps...
TONI,
à Riton - Alors vas-y, mec, toi
qu’est si beau parleur, fais nous ta revue de presse .
RITON,
la main à plat sur 3 ou 4 journaux - On a d’abord le rappel des faits anciens pour lesquels le député-maire
Thomas Durimel-Durand a déjà été condamné : un super appart de 400 mètres
carrés, à Rueilly, que les contribuables ont plus ou moins payé, un train de
vie de seigneur, la valetaille émargeant sur la liste des employés
municipaux...
BAMBOULA
- Faut-y qu’y soit fortiche, ce salaud, y s’fait pincer, y s’fait boucler, y
s’fait réélire et y r’commence...
LOLA -
Sois mignon, Bambou, laisse parler Riton, je suis pressée...
RITON
- Ben, la suite, c’est rebelote . Il s’agit aujourd’hui d’un programme de 500
logements... Le fisc a découvert pour 4O millions de factures non conformes,
dont 20 millions d’honoraires et de frais bidons.
LOLA -
Mais dans tout ça... Monaco ?... Est-ce qu’on parle de la villa, qui d’ailleurs
n’est pas à Monaco...
RITON
- Pas du tout ! Pour finir, il n’est question que de la mallette remise à M. le
député-maire. (Regardant Toni.) A ce propos, on aimerait bien savoir où est la
nôtre... de mallette .
LOLA -
Je suis d’accord avec Riton . Tu ne nous as pas dit ou tu l’avais mise . Moi je
pense qu’il faut la rendre dès demain, ou louer un coffre dans une banque.
TONI,
l’air finaud. - Elle est mieux que dans une banque, faites-moi confiance...
LOLA,
d’une voix implorante - J’en
reviens à Monaco ? Pourquoi Monaco ? Dis vite, Riton, parce que Jules doit
m’attendre, il faut savoir être correct quand même...
RITON
- Pourquoi Monaco?... Tu dois le savoir mieux que nous, Lola ! C’est toi qui a
rencontré Durimel !... Deux fois . La première fois, la secrétaire t’as vue
apporter une mallette . La deuxième fois, elle a collé son oreille à la porte . Vous avez crié ! Lui, il
aurait crié “putain”, à plusieurs reprises, et toi tu aurais parlé de “Monaco”
! C’est ce que rapportent tous les journaux, et l’un en conclut que la
mystérieuse mallette a été apportée à M. Thomas Durimel-Durand par “une putain
de Monaco”.
Bientôt
Lola sera dans les bras de Jules, imaginant, pour ne pas s’endormir, que Pépère
va tout d’un coup se transformer en Bamboula .
Mystère
de la télépathie, le môme pense en même temps que la félicité sur terre, c’est
d’être à la place de l’homme au melon déplumé.
Riton
se voit caressant la fière cambrure de Chloé, et Toni se rapetisse en gros bébé
pour mieux téter les beaux tétons de Clarisse .
Quant
à Simone, elle n’a pas le temps de rêvasser, elle . Jusqu’à une heure avancée
de la nuit, elle travaille . Mais en compensation, Fruteau, le réalisateur, lui
a offert un foulard Hermès, et, après le travail, Gabriel, le chef du casting à
la chemise à fleurs, la reconduit en cabriolet jusqu’à la porte de son mobile
home.
Les
joyeusetés du tournage
Première
nouvelle : Angèle, l’héroïne du film, fait un caprice . Elle ne veut auprès
d’elle aucune autre coiffeuse que Simone . Celle-ci, quoique flattée, refuse,
proteste, arguant du fait, primo, qu’elle n’a qu’une semaine de vacances, et
secundo, que Cannes ne doit pas manquer d’habiles professionnelles en cette
semaine du festival .
Rien
n’y fait . Angèle n’en démord pas . Trufeau se fâche . Gabriel dénoue
l’imbroglio en promettant à Simone que, si elle accepte de se sacrifier, il
confiera à ses amis les plus beaux rôles de figurants . On tope là...
Promesse
tenue . La journée est consacrée aux concerts de Jimmy, d’abord en salle, dans
un théâtre, puis en plein air, dans un stade . Dans l’un et l’autre endroit, Toni, Riton, Bamboula et Lola
sont au premier rang, en compagnie de Clarisse et de Chloé, heureuses d’être
intégralement filmées . Et tous de hurler leur joie quand Jimmy apparaît, et,
quand il chante, de se contorsionner pour mettre en valeur leur plastique, et
tous de s’enlacer, de s’embrasser quand la vedette souffle .
Gabriel
dit que c’est bien, que ç’a été du délire, on continuera cette nuit .
Eh
oui! le film a son morceau de bravoure, un bain de minuit ovcorse . La
production à loué la plage privée de l’hôtel Martinez, ce qui n’est pas rien en
pleine semaine du festival . La faible plainte de Simone protestant contre les
heures supplémentaires pèse bien peu . D’ailleurs, ses amis, qui se sont
montrés brillants figurants, seront de la partie . En première ligne . Monsieur
Gabriel, qui distribue les places et les emplois, charge Riton d’assister
Chloé, et Toni de s’occuper de Clarisse . Bamboula doit les suivre .
Impérativement . La chanson phare de Jimmy, c’est Beur-Blanc-Rouge,
Bleu-Blanc-Beur, pour ne sacrifier ni le bleu, ni le rouge , fort bien, mais il
faut penser aussi au black. Comme dit Gabriel : Jimmy est consensuel, en un
seul mot, Bamboula doit donc se trouver toujours dans le champ . Il ne manque
dans ce joyeux groupe que Lola, qui a dû regagner sa chambre, le tyrannique
Jules ayant signifié son intention de passer ce soir encore . Il exagère
celui-là !
Mais
silence, on tourne .
Tous
les figurants retenus, une bonne trentaine, sont à poil sur la plage . Au
signal, ils s’élancent vers la mer comme une volée de moineaux . A la troisième
prise c’est bon, M. Fruteau estime qu’il a son compte de poitrines et de pubis
éclairés comme il le souhaite, lolos et verges au vent .
On
filme ensuite les ébats aquatiques de Jimmy et d’Angèle . La séquence semble à
tous un brin longuette, car l’eau est froide en dépit d’un mois de mai superbe
. Quand vient le tour de nos amis, ils commencent à grelotter mais ils ne vont
pas tarder à se réchauffer . Toni d’abord, qui doit, sans se faire voir, maintenir à bout de bras Clarisse, afin
que la faible vague offre bien à la lumière la sculpturale rondeur de ses
seins. Pour ce faire, il lui soutient la nuque de la main gauche, mais la main
droite, il doit la lui passer entre les cuisses, pour lui pincer la vulve, afin
de donner à son corps l’inclination idéale .
- N’en
profite pas trop quand même, lui dit-elle , en riant aux éclats .
Chloé
fait exactement la même remarque à Riton, avec le même rire, quand il lui met franchement un doigt dans la
chagatte pour parfaire, au sommet de la vague, sa cambrure et la parfaite
rondeur de son arrière-train .
A deux
pas, dans l’ombre, Bambou bave d’envie, et bande intensément . C’est alors que,
miracle, il est sollicité par derrière, une main lui prend la bite, une peau
douce frôle son dos, deux mains enserrent sa bite... Il regarde autour de lui,
éperdu . Y en a-t-il d’autres qui baisent ? Et pourquoi pas ? La foule des
festivaliers, là-bas, retenue sur le boulevard, ne peut pas voir... Des pensées
lui viennent, toutes en même temps, comme un bouquet de fusées... Juste le
temps qu’il faut pour se préparer une mortelle déception . Il sent le frôlement
d’une bite entre ses fesses . Il se retourne . .. C’est un garçon, grand,
jeune, blond...
- Non,
euh... fait-il . Sois pas vexé, mec, je suis pas contre, pas pour non plus...
M’en veut pas...
Il
débande aussi vite qu’il a bandé et se précipite vers la plage en soulevant
d’immenses gerbes d’eau, sans même attirer l’attention de ses potes, Riton et
TonI .
Monsieur
Gabriel prend grand soin de ses meilleurs figurants . Après le tournage, il
accueille sur le sable Clarisse et Chloé, et leur chevaliers servants, avec de
grands gestes d’amitié . Il jette sur leurs épaules des serviettes de bain et
leur dit:
- Vous
avez bien travaillé, Fruteau est content, mais vous êtes gelés, venez, j‘ai mes entrées au Martinez, vous allez
prendre une bonne douche bien chaude .
Ils
quittent la plage et traversent la foule qui paralyse la circulation des
voitures sur le boulevard de la Croisette . C’est la première nuit blanche du
festival . Bon nombre de réceptions auront lieu ce soir . A l’hôtel, nul n’est
étonné par le passage de quatre personnes presque nues, leurs habits sous le
bras, une serviette sur le dos, au milieu des dames en robes du soir et des
messieurs en smoking, répandus dans toutes les salles. Il y en a jusqu’au bord
de la piscine . Mais ce n’est pas aux douches de la piscine que M. Gabriel
conduit ses protégés . Il connaît
bien la maison, les fait passer par le salon de coiffure, leur montre du doigt
un écriteau : Fitness, puis s’esquive . Deux cabines désertes et que l’on
dirait à des lieues de l’agitation festivalière semblent attendre les baigneurs
. Un lieu propre à recevoir des gens qui ont commencé à faire connaissance dans
la mer et entendent continuer . Sans tarder.
Dans
l’une des cabines, sous un jet
d’eau délicieusement tiède, le corps de Chloé glisse entre les bras de Riton
qui l’enserre . Elle se retrouve à genoux, lui caresse le sexe . Il la prend
par les cheveux, presse sa tête contre lui . Elle joue le jeu, lui suce le dard
, le mordille, fait mine de l’avaler, lui gratouille les couilles, puis
s’écarte . Surprise! Le voilà tout habillé de bleu .
-
C’est un préservatif spécial, américain, au miel, plaisante-t-elle pour dissiper l’amorce d’une déception. Je
continue ?...
Il
préfère la relever en la prenant par les hanches . Elle cède à cette invite, et
debout, lève les bras pour s’accrocher, dos au mur, à une barre porte-serviettes, puis elle lève une jambe, pour
poser un pied sur le rebord d’une niche porte-savon. La réputation que lui vaut
sa cambrure n’est pas surfaite . Comme elle sait bien mettre en valeur et
entrouvrir sa vulve . A Riton de l’explorer, ce qu’il fait, avec un doigt
d’abord, puis deux . Il a tôt fait de situer le clicli d’amour, la pointe vive,
le jouissif bonbon, qui arrache à Chloé ses premiers gémissements... Bref, disons que bientôt le piston bleu va
entrer en action et qu’il fonctionnera dans un cylindre lubrifié à souhait, mais brisons là, sinon
nous tomberions dans le licencieux .
Les
autres, à côté, se livrent de même à un marivaudage de la plus belle eau .
Clarisse s’accroche des deux mains au porte-savon . Toni, qu’elle a coiffé de
rouge, la prend par derrière . Et
ça y va, il est pas faignant le cador, mais une image frivole l’empêche de se
concentrer autant qu’il voudrait . Il pense à son caoua et à son envie de la
nusse . C’est pourquoi il donne un petit coup de bélier à l’entrée des artistes
en guise de demande d’autorisation . Elle geint, s’impatiente, lui dit “entre”.
Mais où? Avide, ardente, elle lâche d’une main son point d’appui pour quasiment se la
fourrer dans le con, et que je t’astique le bouton, et que je te joue de la
mandoline, ce que voyant, Riton la
comble .
Ah! la
coquine . Mais trève de cochoncetés . On saura jamais le fin mot de
l'histoire...
Après
ce premier acte, les deux couples se retrouvent dans l’antichambre des cabines
. On papote, on rigole, les filles font voir leur collection de capotes
américaines, certaines ornées de l’effigie de vedettes du cinéma .
- Qui
veut mon Superman ? Mon Di Caprio ? plaisantent-elles .
Comme
elles regrettent que les garçons ne soient plus en état de les essayer!...
C'est ce qu'elles disent...
Ils
relèvent le défi .
Ils
s’allongent nus sur le marbre du sol .
Du
bout des doigts, du bout des lèvres, elles les habillent à leur convenance, et
hop! les enfourchent. Et elles y vont de bon cœur, encouragées par les petits
claquements de leurs fesses sur les cuisses de leurs partenaires .
Jolie
partie, amusante aussi par le fait que c’est Toni que Chloé chevauche, et
Clarisse Riton .
Ce bon Monsieur Gabriel
- Je
crains que vos camarades vous aient oubliée, lui dit-il .
- Ils
ne doivent pas être loin ...
- Je
n’ai pas réussi à les retenir, mais comptez sur moi, je vous raccompagne .
On
monte dans le cabriolet, une superbe Porsche rouge dernier cri, on s’engage
dans l’enfer de la lente circulation d’un soir de festival . Toutefois, l’ennui
du voyage est largement tempéré par les signes d’amitié adressés par les
badauds au conducteur, fort connu de tous ceux qui gravitent autour des
cinéastes .
- Ils
se demandent qui vous êtes et où nous allons, sourit Gabriel .
La
jolie coiffeuse de la Cité des Fleurs, promue coiffeuse de star, et compagne
d’un grand manitou du cinéma, se sent flattée .
On
s’arrache enfin à la cohue, au tumulte. On roule un peu, juste ce qu’il faut
pour que le cabriolet donne les preuves de ses qualités et l’on entre dans un
camping désert . Silence de mort . Les vieillards et autres infirmes privés de
Croisette dorment . Pas de Riton dans le mobile home, personne dans la tente
voisine .
- Je
vous offre une coupe au bar de la plage du Martinez, propose Gabriel .
Comment
refuser . Et pourquoi non ? Demi-tour.
Mais
le bar est en train de fermer . L’équipe du film et les spectateurs du tournage
ont reflué pour rejoindre les festivaliers sur le boulevard et dans les palaces . M. Gabriel ne paraît pas
étonné .
-
Fruteau et toute sa bande occupent le Martinez, note-t-il, on le leur laisse,
d’accord ? Je vous invite au Carlton, l’un vaut l’autre, vous verrez .
Le
hall d’entrée ainsi que le bar qu’elle aperçoit lui semblent en effet somptueux
. Toutefois, le temps lui manque pour admirer, M. Gabriel l’invitant à vider la coupe promise dans sa
chambre . Car c’est au Carlton qu’il réside, il y retient sa place longtemps à
l’avance, c’est un vieil habitué .
Quelle
raison aurait-elle de refuser? Ce monsieur fait preuve du meilleur savoir-vivre
. De plus, elle est sûre d’elle, confiante en ses principes .
Et
n’a-t-elle pas maintes fois donné des preuves de la fermeté de ses attitudes ?
C’est
une très belle chambre climatisée, avec salle de bain en marbre, sèche-cheveux,
TV câblée, vidéo, minibar, service d’étage .
M.
Gabriel commande une bouteille de champagne.
M.
Gabriel est beau parleur, et flatteur . Quelle chance pour la production
d’avoir trouvé une artiste capillaire de l’envergure de Simone ! Elle a des
doigts de fée . .. (Tout beau ! se dit-elle . Moi, je n’ai
aimé que deux fois dans ma vie, je n’ai couché qu’avec deux hommes, Toni et
Riton, plus une autre petite fois peut-être, une défaillance, mais qui ne
compte pas ... ) ...des doigts de fée si douces et des lèvres pareilles !
Comme
avec un duvet, du dos de la main, il effleure sa bouche .
Elle
s’apprivoise, sachant qu’il ne la forcera pas . Mais elle ne cédera pas ...
Le
champagne pétille dans les verres, distille dans leurs veines une touche de griserie . Il parle des seins de
Clarisse, ceux de Simone, qu’il frôle, sont aussi beaux. Elle objecte que tous
les hommes sont les mêmes, confuse de son peu d’originalité dans la répartie.
Il admire son jugement, sent ce qu’elle ressent, dit-il, et affirme que la
chute de reins de Chloé n’est pas plus remarquable que celle qu’il parcourt
d’un soupçon de caresse .
Cela
ne peut durer .
- Je
ne suis pas comme ça, Gabriel, je ne couche pas, je veux dire, un premier soir,
comme ça...
-
Dommage, sourit-il, j’aurais aimé te révéler à toi-même
-
C’est à dire ?
Il la
renverse sur le lit.
- Te
faire connaître le plaisir.
- Bof
! je connais...
Il
écarte ses cuisses, et plonge entre elles, le nez fouisseur, en grognant :
- Mais
gnon... gnon... gnon... tu sais pas... tu sais pas...
- Mais
si ! Mais si !
Il ôte
le slip qui l’arrête, se joue des grandes, puis des petites lèvres, d’une
bouche gourmande, et sa langue vipérine touche mille sommets sensibles, ouvrant
les vannes de mille sources de jouissance .
Le
bouffon, le diable d’homme ! Elle était assise au bord du lit, elle s’est
couchée, bras en croix . Alors lui, toujours suçant, toujours léchant, il
l’allonge, et hop! c’est l’as du tête à queue, ce conducteur de cabriolet . Les
voilà tête-bêche, en place pour un soixante-neuf somptueux . Simone n’a guère
de pratique, mais quand même, dans le passé, elle a eu des élans, elle a aimé,
elle embouche la flûte à grelots . Ah! comme il apprécie ! Et, poli,
lui dit que ça va pas durer, qu’y va balancer la purée, que peut-être elle aime
pas... Hop! tête à queue... la pénètre sans coup férir, lime un peu ... Des
ondes magiques, un grand frisson, ses reins se creusent... Les reins de
qui ? Des deux . Ensemble, un même orgasme .
Quelques
gouttes de sueur perlent à leur front . Le champagne qui reste est tiède. Bien
qu’elle ne souhaite pas qu’il commande une autre bouteille, son peignoir à peine noué, il
entrebâille la porte, tend le bras, fait claquer son doigt...
- Le
garçon attendait ton signal ? s’étonne Simone, quand il revient vers elle .
- Le
hasard, il passait... La chance
est avec nous.
Comme
elle fait la moue, et demeure boudeuse, il lui demande si elle n’a pas été
heureuse. De fait, il sait qu’elle l’a été, le corps ne ment pas .
L’accentuation de sa grimace le pousse à dire, en souriant, qu’il est sûr d’avoir
tenu sa promesse ...
-
Quelle promesse ? fait Simone .
- La
révélation ... plaisante Gabriel .
-
Bof!... le plaisir, c’est le plaisir .
- Mais
encore ?
Le garçon livre le champagne .
Gabriel
voudrait que sa partenaire lui dise ce qu’elle ressent, qu’elle lui permette de
comprendre ce qui gâche son plaisir . Elle finit par lui concéder une
explication en deux mots :
- La
honte, dit-elle .
Il est
intelligent, M. Gabriel, et peu disposé à se lancer dans des discussions
d’ordre psycho-philosophique . Il est bien tard, ils se reverront demain .
- Je
ne crois pas, dit Simone .
- Nous
nous retrouverons pour le travail, plaisante le galant, demain c’est la grande
scène de la montée des marches, il faut qu’Angèle soit savamment décoiffée, on
annonce du vent ...
- Nous
verrons cela .
La
bouteille est à peine entamée, mais puisqu’elle le souhaite, puisqu’elle n’a
pas envie de profiter davantage de cette chambre de palace, puisqu’elle ne veut
pas finir la nuit auprès de lui, gentiment, dans un lit super confortable, il
accepte de la reconduire au camping .
Les
rues sont moins chargées . Le cabriolet roule vite. Quelques retardataires, des
lavedus d’arrière-garde, des festivaliers zonards, qui rentrent au camp à pied,
lorgnent avec étonnement la Porsche rouge . La voiture s’arrête devant la tente
de Toni et de Bambou . Personne . Vide aussi le mobile-home . M. gabriel
propose à Simone de lui tenir compagnie jusqu’au retour de Riton .
- Non,
non... rougit-elle .
M.
Gabriel n’insiste pas .
Désir
d’amour
Le
bonhomme est sorti, le dos rond, l’air soucieux . Alors le môme a couru
vers l’escalier de service .
Il est maintenant auprès de sa belle, si l’on ose dire, car c’est une petite chose toute
chiffonnée, Lola, avec sa minijupe de travers, une bretelle de son débardeur
pendante, ses cheveux en désordre, ses yeux rougis, ses joues baignées de
larmes .
Bambou
veut lui faire dire que Jules l’a malmenée, sévèrement grondée pour n’avoir pas
récupéré la mallette, peut-être giflée, peut être battue . Ah ! le
monstre, comme il saura la venger
!
Elle
ne cesse de lui répéter que son ami ne s’est en rien montré brutal,
physiquement, étant lui-même fort affecté . Elle va tout lui expliquer...
Elle
pose sa tête sur l’épaule de Bambou, un bras passé derrière son cou, ravale ses
sanglots, reprend son souffle, frotte son front au maillot du garçon pour
essuyer son visage .
Lui se
sent inondé de bonheur par cette marque de confiance . Elle est attendrissante,
émouvante, bouleversante, Lola . Il est heureux, mais en même temps tellement
ému qu’il a envie de pleurer . Il en oublie de bander, alors qu’elle est là,
contre lui, toute chaude et palpitante .
BAMBOULA
- Il t’a quand même réclamé la mallette ?...
LOLA -
Oui... mais non... c’est pas le principal ! Le plus grave pour lui ç’a été la
visite hier des policiers de Paris qui s’occupent du député-maire Thomas
Durimel-Durand . Ils savent que c’est Jules qui lui a vendu sa villa de
Monaco, je veux dire... du cap
d’Ail ...
BAMBOULA,
la berçant entre ses bras . - C’est son problème, tu n’y es pour rien, ma petite Lola...
LOLA -
Attends!... Les policiers ont continué de le tarabuster aujourd’hui... Ils
veulent savoir pourquoi des entrepreneurs sont venus d’Ile-de France pour
construire sur la Côte... Ils l’accusent d’être en cheville avec Durimel,
d’être aussi coupable que lui... Ils parlent de détournement de fonds publics,
de prise illégale d’intérêt... Ils le menacent de perquisitionner à son agence
de Paris, à celle de Cannes, à deux pas d’ici, à celle d’Antibes et même chez
lui, dans sa maison, au cap d’Antibes, où il a femme et enfants...
BAMBOULA
- Eh ! Lola, on va pas pleurer!... Je suis sûr qu’il t’a demandé un gros câlin
pour se consoler ce vilain singe !
LOLA -
T’es fou, Bambou ! Il a pas la tête à ça, je te jure !
BAMBOULA,
avec un sourire malin. - La tête non, mais le reste ...
LOLA -
Ah-ah! j’aimerais rire avec toi, Bambou. . (Elle l’embrasse sur la joue.) Mais
il faut que je te dise... Je crains le pire... Hier, Jules se sentait dans la
mouise, il parlait d’amende, de
contrôle fiscal... Aujourd’hui, il
a peur de la prison, et il m’a dit que j’irai aussi, et c’est pour me le dire
qu’il est revenu ce soir, ce qui n’était pas prévu...
BAMBOULA
- Et pourquoi toi ? La peur le rend dingue, ton vioc !
LOLA -
Il m’a fait toute une scène parce que les journaux m’appellent la “Putain de
Monaco “, il soutient que c’est de ma faute malgré que je lui ai tout expliqué!
Il prétend que je n’suis pas assez discrète, il veut que je me cache, et là,
oui, il me demande notre mallette, il veut qu’on la lui rende,
mais
c’est pour me rendre service, parce que si je suis prise avec, comme elle
ressemble à l’autre, je coulerai comme Durimel et lui...
BAMBOULA
- C’est un sacré vicelard, le pépère, il profite de la situation...
LOLA -
Non, je n’pense pas, il a vraiment la traquouse, et la mallette, il nous la
donnerait, si ça pouvait effacer l’ardoise...
BAMBOULA
- Ouais, je vois... Pour repartir à zéro, toi dans l’appart qu’y t’a trouvé,
toujours à sa main, toujours à sa botte, à l’attendre pour... je m’comprends,
espérant qu’un jour y te dégottera une boutique en franchise...
LOLA -
Mais c’est qu’il est jaloux, mon Bambou !
BAMBOULA
- Oui .
LOLA -
Eh bien, il a tort . (Nouveau baiser sur la joue.) Jules et moi, c’est fini.
BAMBOULA,
se levant d’un bond. - Non, c’est vrai?... Pourquoi tu me fais marcher ? Il te
l’a dit ?
LOLA -
Reviens t’asseoir... (Il s’exécute, se laisse aller sur son épaule.) Il ne m’a
rien dit, pas un mot là-dessus, mais je le sais . Les sentiments, comment
dire... il n’y a pas besoin de mots, on les devine...
BAMBOULA
, reculant son buste pour la fixer dans les yeux. - Et moi... mes sentiments,
tu les connais?
LOLA -
Oui, Bambou .
BAMBOULA
- Tu lis dans mes yeux que je suis malade d’avoir quelques années de moins que
toi...
LOLA -
Oui, je le vois, mais ça n’a pas beaucoup d’importance.
BAMBOULA
- Que je suis un... moins que rien !
LOLA -
C’est pas vrai, et ça n’a pas beaucoup d’importance.
BAMBOULA
- Qu’est-ce qui a de l’importance ?
LOLA -
Tout ce que je lis d’autre .
BAMBOULa
- Quoi? Que j’ai envie de t’embrasser...
LOLA -
Je le vois.
BAMBOULA
- De t’enlever tes frusques ?
LOLA -
Oui, je vois que tu veux me déshabiller... (Elle lève les bras, il commence l’effeuillage sans la
quitter de yeux.) lentement, tout doucement...
BAMBOULA
- Tu lis quoi encore ?
LOLA -
Que tu veux que je m’allonge à côté de toi, et je le fais... tu veux te poser
sur moi, je veux bien, tout doux, tout, doux...
BAMBOULA
- ça peut plus durer ce jeu, Lola, je suis dans toi maintenant, ben oui... tu
le sens, tu me sens... je vais
fermer les yeux....
LOLA -
Non, tout doux, attends... parce que je vois que tu veux me dire quelque chose
avant, alors dis-le, dis-le...
BAMBOULA
- Je t’aime, Lola, je t’aime....
LOLA -
Moi aussi, je t’aime, mon Bambou, je t’aime .
Le
lendemain matin, ou, pour mieux dire, quelques heures plus tard, Lola et Bambou
ne peuvent se résoudre à se séparer . Ils décident de se rendre au camp pour y
prendre leur petit déjeuner. Ils y retrouvent leurs compagnons réunis sous
l’auvent de toile qui agrandit le mobile home . Comme ils se présentent en se donnant
la main, quelques lazzis les accueillent, pour souligner leur bonne entente et
supputer le bon temps qu’ils n’auront pas manqué de se donner . Toni et Riton rient grassement . Plus
fine mouche, Simone les appelle “les amoureux” en leur servant le café . De
fait, les arrivants laissent dire en souriant, sans éprouver la moindre
gêne, alors que les trois autres
ne semblent guère désireux de rendre compte de leurs activités de la nuit .
Toni peut-être céderait à la tentation de se glorifier de ses exploits sexuels,
mais Lola , si épanouie un instant plus tôt, ne lui en laisse pas le temps.
Elle l’attaque la larme à l’œil .
- Il
faut maintenant que tu me rendes la mallette, lui dit-elle . Je suis trop en
danger...
Elle
donne ses raisons .
Discussion
. Riton appuie son pote qui déclare que le montant de l’amende n’a pas été fixé
. Jules est un vioc vicelard . On pourrait lui piquer mille, deux
mille... entre deux et dix mille euros . Son argent, c’est de l’argent sale,
d’accord, mais les garçons n’ont pas peur qu’il leur salisse les doigts . Simone rappelle qu’il faut être juste,
qu’il a retenu et payé le prix de leur place au camping . La mieux logée, Lola,
ajoute qu’il a tenu parole en les recommandant au responsable du casting .
Bamboula est d’avis qu’il doit quand même morfler un max, le salopard, et il
souhaite surtout qu’on n’entende plus jamais parler de lui .
- Quoi
qu’il en soit, y m’faut la mallette, Toni, répète Lola .
- Au
fait, où est-elle au juste... commence Riton .
- Toi
, mec, t’as intérêt à le prendre sur un autre ton, s’emporte Toni, à t’entendre
on croirait que je veux la griffer perso !...
-
Comprends ce que tu veux, mec, tu ne m’empêcheras pas de dire ce que j’ai envie
de dire...
- Moi,
intervient Simone, j’ai toujours pensé qu’une somme pareille, on aurait dû la
déposer à la banque ...
Le
jeune Bambou s’efforce d’apaiser les esprits . Pour lui, la vie est belle, le
temps superbe, il serait temps de penser à rejoindre les figurants, sinon Gabriel aura distribué les
meilleurs rôles quand il se pointeront.
Simone
surtout devrait se hâter, Fruteau étant fort capable de commencer la journée
par une répétition de la montée des marches . Mais la coiffeuse se dit lasse
des caprices d’Angèle... Le cinéma, les paillettes, les décors, les cancans, les propos futiles, les faux
semblants, elle en a assez, elle est déçue, elle est sur le point de renoncer à
sa charge, elle regrette d’être venue ...
ça
alors !... Mais qu’est-ce qu’elle a ?
En ce
moment retentit une sonnerie...
La
sonnerie du tocsin
C’est
la sonnerie du portable de Lola .
-
Oui... répond Lola . (Avec un brin d’agacement.) Dans ma chambre, non... Oui,
Jules, oui, au camping... Avec Simone et les autres... (Mutine.) Le temps est
beau, si tu voyais la mer, le ciel... (Inquiète.) Pourquoi tu dis que je vais
pas rigoler longtemps ? (Les yeux écarquillés.) Lui, mort !... Poignardé!
Non?... (La gorge de plus en plus serrée.) A l’hôtel Canberra... A deux pas de
mon hôtel... C’est pas possible!... (Affolée.) Comment ça mes cliques et mes claques?... Quoi l’enquête?...
Tu parles trop vite, Jules, laisse-moi le temps de récupérer, je te
rappelle, tchao .
Ils
sont tous les cinq assis autour d’une table.
SIMONE
- Qui est mort ?
LOLA -
Durimel .
RITON
- Quel Durimel ?
LOLA,
avec agacement. - Monsieur le député-maire Thomas Durimel-Durand .
TONI -
Le semeur de merde, bon débarras.
RITON
- Dis pas ça, mec . Les flics pourraient t’entendre...
TONI -
Et alors ? Je vais m’gêner ! Tu veux m’en empêcher?
RITON
- Réfléchis . L’enquête va repartir...
TONI -
T’as des réflexes de gendarme, Riton.
SIMONE
- Riton a raison...
LOLA -
Jules dit la même chose, que l’enquête va changer de face, de tournure,
d’allure ... Je sais plus tout ce qu’y m’a balancé, c’est affreux .
BAMBOULA
- Moi je trouve ça très bien qu’y soit crevé, un sale cochon pareil ...
SIMONE,
l’air pincé. - On peut dire la même chose avec d’autres mots, Bambou...
BAMBOULA,
posant sa main sur celle de Lola. - Non, je maintiens ...
LOLA -
Vous savez pas le pire...
RITON, rigolard. - Y grille déjà en enfer, non
?
LOLA -
Durimel est ici... Il est venu se
faire assassiner à Cannes... A l’hôtel Canberra... A deux pas de chez moi..
TONI -
Quand ça ? A quelle heure ?
LOLA -
Hier soir, ou dans la nuit . La police de Cannes a été prévenue vers minuit .
Elle a pris contact avec la criminelle de Paris . Et c’est cette police de
Paris qui a demandé à celle de Cannes de se rendre chez Jules...
RITON
- C’est peut-être lui l’assassin ...
BAMBOULA
- Sûr que c’est lui, je l’ai vu sortir de chez Lola... Un sagouin a trucidé un
autre sagouin... Je peux en témoigner...
TONI -
Sois plus cool, môme... Faut voir
venir...
LOLA -
Jules m’a dit de prendre mes cliques et mes claques et de sauter dans le
premier TGV pour Paris... Vu que, si par malheur on se faisait piquer avec une
mallette pareille à celle que la
police de Paris a trouvée chez Durimel, on y aurait droit...
RITON
- A quoi ?
LOLA -
A la prison, je sais pas, y parlait trop vite, Jules, y m’a dit aussi que, pour un meurtre, la
Criminelle allait s’en donner la peine et qu’elle avait peut-être déjà mon
portrait robot.
SIMONE
- Qu’est-ce que tu comptes faire ?
LOLA -
Je sais pas... Je ferai ce qu’il dit . Autrement, rue Meynadier, où est mon
hôtel, et dans les rues
avoisinantes, autour de l’hôtel Canberra, je risque à tout moment de me faire
cueillir...
BAMBOULA
- Tu peux te planquer ici, tantôt dans la tente, tantôt dans le mobile home, ni
vue ni connue...
LOLA -
Non, j’aime mieux partir . Et vous, vous comptez rester ?
TONI -
Pourquoi non ? La mallette est mieux là où elle est qu’avec nous dans le train,
et aussi, on a promis à M. Gabriel de continuer à l’épauler quand il aura
besoin de Chloé et de Clarisse, pas vrai Riton ?
RITON
- C’est vrai, mec, c’est vrai ...
TONI,
rigolard . - Il a besoin de nous
sur terre, dans la mer, et partout... douche comprise !
SIMONE,
sévère . - Moi j’accompagne Lola . Je pars.
BAMBOULA
- Je pars aussi .
TONI -
N’oublie pas que je suis responsable de toi, mon p’tit Caoua . Tu pars, si
j’veux . Et ça serait dommage parce que j’ai l’intention de te présenter à
Clarisse et à Chloé...
En ce
moment, une fourgonnette de la police se présente à la porte du camping . Le
gardien indique au conducteur le mobile home des jeunes gens.
Le
portable de Lola sonne . Jules lui annonce une visite des poulagas, il veut la mettre en garde...
- Y
sont là, fait Lola .
Le
Titan
A
peine arrivé au commissariat de Cannes, après avoir pris rapidement
connaissance des premiers éléments du dossier, il souhaite interroger les cinq
jeunes festivaliers du camping dont la police locale a contrôlé les identités.
Il les
reçoit tous en même temps dans la pièce qui a été mise à sa disposition .
-
Simple routine, leur dit-il, je vais vous demander où vous étiez et ce que vous
faisiez hier soir à l‘heure du
crime .
Le
plus éloquent de l’équipe, c’est Riton.
- M.
le Commissaire, dit-il, d’abord nous protestons pour avoir été appréhendés...
Le
Titan, parcourant d’un œil la fiche de la police locale concernant Riton,
l’interrompt.
- Le
terme “appréhendés” ne convient pas, on appréhende un malfaiteur, attention à
votre vocabulaire monsieur le futur gendarme .
- Vous
dites “l’heure du crime”, reprend Riton sans se laisser démonter, mais cette
heure, on ne la connaît pas ...
- Moi
non plus, l’autopsie n’est pas terminée . C’est pourquoi vous me donnerez vos
emplois du temps de vingt heures hier soir à... disons, huit heures ce matin.
Qui commence ?
-
Moi, s’écrie Bamboula, j’étais avec Lola, je le jure, et elle peut le confirmer,
j’étais chez elle et avec elle, jusqu’à huit heures ce matin .
Lola
approuve de quelques hochements de tête.
Mais
ces réponses ne peuvent satisfaire l’enquêteur . Ce qui importe pour lui c’est
l’heure à laquelle le garçon est monté chez Lola .
- Je
sais plus, fait le môme, j’ai traîné un moment dans la rue...
-
Pourquoi ?
-
J’hésitais à monter... Elle m’intimide, Lola .
- Vous
attendiez la sortie de quelqu’un .
- Non.
Alors
le Titan fait mine de se fâcher . Il accuse Bamboula de vouloir protéger
l’amant en titre de Lola, le sieur Jules, en essayant de cacher qu’il se
trouvait dans le quartier de l’hôtel Canberra à l’heure du crime .
- Moi,
couvrir ce sagouin, s’exclame le garçon, jamais ! Au contraire, je crois que
c’est lui l’assassin ...
Riton
l’interrompt .
- En
vérité, dit-il, nous ne savons rien de ce crime, M. le commissaire, nous ne
savions même pas qu’il avait eu lieu quand les policiers nous ont interpellés,
c’est eux qui nous en ont parlé, et nous ne savons toujours pas pourquoi nous
sommes là .
Le Titan
accepte de mettre les points sur les i . Le sieur Jules et la victime étaient
impliqués dans une grave affaire d’abus de biens sociaux et d’extorsion de
fonds . Après le crime, quand le commissaire est intervenu dans l’enquête, il a
demandé à Jules de lui fournir un alibi . Jules lui a affirmé qu’à l’heure
supposée du crime, il était chez son amie Lola . Et,
interrogé sur Lola, il a déclaré qu’elle faisait partie d’une fine équipe de
jeunes qu’il avait invités à Cannes pour le festival .
- Il
prétend qu’il a quitté Mademoiselle Lola à vingt-trois heures, qu’en
pensez-vous ? demande-t-il à Bamboula .
-
Ouais, c’est à peu près ça .
Lola
confirme .
- Ce
qui fait que nous deux, ont a un alibi ! triomphe le garçon .
-
Autre chose, reprend le commissaire, s’adressant à Lola , pourquoi vous
appelle-t-on la “Putain de Monaco”, mademoiselle ?
- J’en
sais rien, c’est une invention des journalistes, ça ! Ils ont dû mal
interpréter les ragots qu’on a faits sur moi J’y suis même jamais allée à Monaco !
- Je vois,
fait le commissaire . Ce que vous avez dit a été mal compris par ceux qui
écoutaient aux portes...
- Ben
oui, sans doute...
- Vous
n’êtes jamais allée à Monaco, mais en revanche, vous êtes bien allée à Reuilly,
à la mairie, pour remettre à M. Durimel une mallette...
Désarmée
parce qu’elle s’est laissée piéger, Lola éclate en sanglots .
-
Pourquoi vous vous acharnez sur moi ?... marmonne-t-elle
Le
Titan fait la moue . Puis s’en prend aux autres . Que faisaient Toni et de
Riton, après le bain de minuit ? Ils étaient au Martinez... Tiens,tiens... La
Société des réalisateurs de films (la SRF) s’y est réunie pour remettre le
Carrosse d’or à l’un de ses pairs . Qui a été le lauréat ? Qui les a vu Toni et Riton pour témoigner de leur
présence à cette cérémonie ?
Et
Simone ? M. Gabriel l’a reconduite au camp . A quelle heure ? Combien de mobile
homes étaient encore allumés ? Un cabriolet Porsche rouge, cela se remarque
dans un camp . Ont-ils croisé quelqu’un qui l’aurait remarqué ?
Les
jeunes gens mâchonnent leurs réponses .
Leur
réticence indispose le commissaire qui décide pour finir de les mettre tous les
cinq en garde à vue.
Il les
confie a ses adjoints .
Riton,
Simone et ces Messieurs
-
Entre collègues, dit l’un en parcourant la fiche de Riton, on va pas faire de
manières, on va s’présenter, moi c’est Paul , dit Popaul.
- Moi
c’est Georges, dit Jo, fait l’autre .
Vus
sous un certain angle, les deux hommes se ressemblent . Non qu’ils aient les
mêmes traits de physionomie -ceux de Gorges sont lisses comme du saindoux, ceux
de Paul taillés à la serpe- mais ils possédent tous les deux le même regard
bovin, et des mentons larges et empâtés. Leurs silhouettes surtout sont
semblables : Popaul autant que Jo a le torse épais, le cou puissant, des
poignets gros comme les bras de Riton. Ces messieurs semblent déguisés dans
leurs complets de citadins. A leurs gorges sanguines, les nœuds de cravates
s’auréolent de suint. En entrant dans la police, ils ont trahi la
corporation des déménageurs de pianos, ou celle des tueurs en abattoir, ou telle autre remarquable par
la santé physique et la sérénité profonde de ses membres.
-
Alors comme ça, reprend Popaul s’adressant à Riton, tu vas être gendarme.
-
C’est sympa, mec, de me tutoyer, repartit Riton, si t’avais pas commencé,
j’aurais pas osé...
-
C’est à dire que... hésite Jo, nous on est tes aînés...
Riton
lui coupe la parole .
- T’as
raison, mec, faut pas tenir compte de ces détails . Moi gendarme, vous deux de
“la crime”, on se tutoie, d’accord, on va pas commencer par la guerre des polices ...
Du
plat de la main, Paul frappe la table. Très fort. Pour bien faire comprendre
qu’il n’est pas un tendre.
Et le
doigt pointé vers Simone, il demande :
- La
guerre des polices, assez de bavardage, qu’est-ce que t’as fait, toi, la nuit
dernière ?
- En
tant que future épouse d’un gendarme, oui, je suis d’accord moi aussi pour le
tutoiement...
-
C’est pas ma question !
- En
vérité, Paul, intervient Riton, ce Durimel qui s’est fait trucider, c’était un
salopard . T’as lu les journaux,
t’as compté le nombre de pauvres gens qu’il a dépossédés de leurs biens pour
magouiller dans l’immobilier et s’enrichir ?...
Pour
soutenir son collègue, pour ne pas qu’on l’oublie, Georges donne un coup de
poing à la table . Avant qu’il dise une ânerie, Simone le devance :
- T’as
raison, Jo, moi aussi ça me met en colère quand j’y pense . Même sans parler
d’arnac, un député-maire, y cumule les fonctions, mais y cumule aussi les payes . Combien de soldes de flics
ça représente ? Qu’est-ce que t’en penses, alors que tu gagnes guère plus que
le SMIC ? Alors que t’as peut-être toutes les peines du monde pour payer ton
loyer ?
Popaul
et Jo sont assis côte à côte, coude à coude, poings serrés sur la table pour
mieux se contenir .
Soudain, Paul tend l’index vers Riton et lui dit
:
- On
ne te lâchera pas tant qu’on ne saura pas où tu étais cette nuit .
- Je
vais te faire un aveu, déclare Riton, pince sans rire, je suis un tueur à
gages, à la solde du sieur Jules... C’est moi qui dégomme tous ses clients
récalcitrants .
-
N’empêche que toi, lance Georges à Simone, t’as peut-être un bon alibi mais tu
veux pas le donner, parce que, en tant que future épouse d’un gendarme, tu
n’oses pas reconnaître qu’avant même de l’épouser tu lui as fait porter une
belle paire de cornes...
-
Arrête Jo, fait Simone, tu viens d’établir que j’ai un alibi ? D’accord, je
signe .
-
Quant à toi, reprend Paul à l’adresse de Riton, tu essaies de nous cacher
qu’avec ton acolyte Toni tu partouzais quelque part... avec des filles...
-
Bravo, t’as mis dans l’mille, Popaul, réplique Riton . Ouais, on a joué tout le
Kama-sutra, mais entre deux séquences, pour varier les plaisirs, je suis allé
zigouiller ton député-maire...
Sans
avoir à se concerter, Georges et Paul, en-semble, d’un même élan, frappent du
poing la table .
- On a
assez déconné, dit l’un .
- Plus
d’embrouilles, dit l’autre.
Et
d’ajouter, tous les deux à la fois :
- Un
peu de respect.
- Fini
le tutoiement.
- Plus
de guerre des polices .
- Plus
de SMIC...
-
C’est nous qu’on parle
-
C’est nous qu’on conduit l’interrogatoire.
Un
nouveau martèlement de la table laisse entendre qu’ils auraient encore beaucoup
à dire .
S’ils
étaient meilleurs observateurs, ils noteraient que ceux qu’ils interrogent échangent des regards dénués
d’aménité . Qu’as-tu fait de ta nuit? Et toi? N’as-tu pas honte de ton
infidélité? J’ai envie de te griffer . J’ai envie de te mordre .
S’ils
étaient plus malins, Jo et Popaul les feraient craquer, ces fragiles suspects .
Mais
ils sont trop relous .
- On a
tout notre temps, on va vous laisser mariner, on reprendra plus tard,
concluent-ils .
Aux
suivants
Ceux-là,
y vont s’les faire, Popaul et Jo . Y vont quand même pas se laisser marcher sur
les pieds par des voyous de banlieue, non ! Pour commencer, Bamboula est tout
indiqué .
- Toi,
le négro, fait Jo en lisant une fiche, je vois que tu déclares avoir perdu ta
carte d’identité ...
-
Es-tu bien sûr d’être majeur ? enchaîne Paul .
Tête
basse, le môme serre ses mains jointes entre ses genoux .
- Je
m’excuse de vous expliquer, intervient Toni, mon Titi négro aura bientôt seize ans et il est sous ma
responsabilité . Il a un peu menti au départ de cette affaire, ayant manqué
l’école, mais mainte-nant qu’il s’agit d’un crime...
- Toi
ta gueule, laisse parler le négro... dit Jo.
- Je
m’excuse de vous réprimander, lui répond Toni, mais y a que moi qui ait le
droit de l’appeler mon Titi négro... ou... mon Caoua, parce qu’il est mon
frelot . Autrement, c’est du racisme.
- Hein
? Moi du racisme ! s’écrie Jo en se levant pour saisir sur la table un gros
annuaire .
-
Vas-y, mec, lance Toni, provocant, mais méfie-toi, j’ai le crâne dur et le
poing pas feignant.
Paul,
une main sur l’épaule de Jo, le fait se rasseoir, puis lui parle à l’oreille en
lui tendant une fiche.
- Je
vois, dit Jo à Toni, que tu te déclares artiste.
-
Ouais, je chante ...
-
Ouais-ouais, poursuit Jo, avec une guitare, dans les couloirs du métro... Mon
collègue habite pas loin du métro Châtelet, y vient de te reconnaître.
Autrement dit, t’as guère plus de vingt ans , et t’es déjà un parasite, un
mendigot .
- Je
chante du Brassens, par exemple... dit Toni.
Il
fredonne : “Quand on est con, on est con...”
Soucieux
de ne pas brusquer les choses, Paul désigne Lola du doigt et lui lance :
-
Passons à toi . Où étais-tu cette nuit ?
- Chez
moi, au Meynadier, dans ma chambre.
- A
faire la pute . Hein, à faire la pute ?
Soudain,
Bamboula se lève, prend appui des deux mains au bord de la table, et, le buste
penché en avant, en direction des policiers, il crie :
- Vous
avez pas le droit de dire des choses pareilles, vous avez pas le droit !
Il
écope d’une superbe torgnole bien envoyée par Jo et retombe assis sur sa chaise
.
Paul,
une fiche à la main, poursuit :
- Je
lis... Tu m’écoutes, toi, le macaque... Je lis : profession vendeuse, c’est là,
tapé à la machine, et dessous, écrit à la main , ajouté de la main même du
patron : Putain de Monaco .
- On
s’est déjà expliqué là-dessus, gémit Lola .
-
Messieurs, messieurs, pleurniche Bamboula, demandez à Toni si elle est ce que
vous dites, Toni la connaît mieux personne !...
-
Mieux que personne, fait Jo, ça veut dire qu’il la tringle aussi. ? De même que
le sieur Jules. Mes félicitations pour votre tempérament mademoiselle Lola . Et
le député-maire, qui sait ? Il avait peut-être sa place dans le manège...
- Vous
ramenez tout à des histoires de cul, gronde Toni, alors que vous y entravez
rien, rien de rien, parce que, c’est bien connu, vous êtes que des enculés .
Georges
bondit et se saisit de l’annuaire, mais Paul le fait se rasseoir et en revient à sa fiche .
- Je
continue ma lecture, dit Paul :
Putain de Monaco, porteuse de la mallette . Hein ? Qu’est-ce que vous en pensez
? De la main même du patron . Là, on n’parle plus de cul, mais ça reste intéressant.
Georges
ne peut pas laisser son collègue le devancer plus longtemps.
- Durimel
a été assassiné vers vingt-trois heures, dit-il. A cette heure-là, ledit Jules
a cédé sa place audit Bamboula auprès de ladite Lola . Résultat des courses : Jules a pu rectifier le
notable après avoir quitté sa belle, Bamboula a pu le faire avant de la
rejoindre, quant à elle, elle a pu être complice soit de l’un soit de l’autre .
Du
coup, Toni triomphe :
- Moi,
étant hors jeu, s’écrie-t-il, je demande à être relâché tout de suite .
- Toi,
réplique Jo, t’es le plus mouillé de tous, n’ayant pas même un semblant de faux
alibi . Qu’il s’agisse d’une affaire de cul ou de fric, avec tes faux airs de
cador, t‘as rien à en foutre, ou tu signes un contrat ou c’est toi qui l’
saigne, le pauv’ Durimel .
Toni
se lève, poings serrés .
- ça
tient pas debout, s’exclame-t-il, c’est du n’importe quoi, de la bouillie pour
le chat !...
-
Holà-oh ! fait Paul, assieds-toi . On se calme . On va tout reprendre à zéro
pour y voir plus clair .
Et
c’est le tour à Pépère
JULES
- Euh... rien, M. le commissaire . Moi, je l’ai quitté vers vingt-deux heures,
c’est tout ce que je peux dire .
LE
TITAN - Il a reçu trois visiteurs . Le premier vers dix-sept heures. Un homme
correctement vêtu, de taille moyenne, plutôt maigre, avec des joues creuses, un
nez mince, fortement aquilin, et des yeux étonnamment brillants, cela vous dit
quelque chose, M. Jules ?
JULES
- Non, rien, je ne connais pas cet homme .
LE TITAN
- Le second visiteur est venu beaucoup plus tard, vers vingt heures . C’est un
homme d’une quarantaine d’années, remarquable par le gonflement de sa belle
chevelure frisée, et par sa chemise à fleurs... vous connaissez ?
JULES
- Nullement .
LE
TITAN - Ce monsieur portant beau se nomme Henry de Frossard, vous ne le
connaissez pas ?
JULES
- Pas du tout .
LE
TITAN - C’est un fondé de pouvoir de la banque Balsthal, cela ne vous dit rien
?
JULES
- Rien . (Le Titan fronce les sourcils.) C’est à dire que... oui, j’ai entendu
parler de cette banque, c’est une banque suisse, très sérieuse...
LE
TITAN - Et M. de Frossard... Sa
chemise ne vous a pas étonné ?
JULES
- Je ne connais pas ce monsieur ...
LE
TITAN - Comme c’est curieux ! En effet, lui vous connaît . Il prétend même
qu’il vous a rencontré hier dans la chambre de M. Durimel, vers vingt et une
heures.
JULES,
troublé . - M. le commissaire, c’est vrai que je l’ai croisé, mais je vous assure, j’ignorais son
nom, et pour ce qui est de sa
chemise, ma foi ! en ces temps de
festival, elle ne m’a pas sauté aux yeux...
LE
TITAN - M. de Frossard a déclaré... (Il consulte une fiche.) il a déclaré que
vous vous étiez réunis pour apurer les comptes relatifs aux travaux effectués
dans la villa du cap d’Ail...
JULES
- C’est cela, oui, nous avons apuré...
LE
TITAN - Ensuite ?
JULES
- Ensuite il est parti, je suis
resté...
LE
TITAN - Pour apurer d’autres comptes .
JULES,
avec un sourire reconnaissant . - Exactement .
LE
TITAN - Soit . Dieu merci, un juge d’instruc-tion a été désigné pour vous aider
vigoureusement, vous, Durimel, de Frossard, quelques autres sans doute, et tous
vos avocats, dans vos exercices
d’apurement. Moi ce qui m’intéresse, c’est le crime. Je reviens donc en arrière
. Je répète ma question : l’homme aux joues creuses, le connaissez vous ?
JULES
- Non, M. le commissaire, je vous jure ...
LE
TITAN - Ne jurez pas, vous avez menti pour de Frossard, comment pourrais-je
vous croire ?
JULES
- Je ne le connais pas .
LE
TITAN - Soit . Je m’en tiens donc à ce dont nous sommes sûrs et à votre version
. L’homme aux joues creuses et au nez aquilin passe vers cinq heures de
l’après-midi, de Frossard vers huit heures, et vous après . Vous êtes donc le
dernier à l’avoir vu vivant, à dix heures... n’est-ce pas ?
JULES
- Le dernier... le dernier... non ! Le dernier, c’est l’assassin .
LE
TITAN - Laissez-moi continuer, je vous prie . De dix à onze, vous êtes avec mademoiselle Lola, dans sa
chambre, ce qui vous tient lieu d’alibi.
JULES
- La pure vérité...
LE
TITAN - Ensuite, vers minuit, on vous retrouve à la soirée de la SRF au
Martinez.
JULES
- Normal . Je suis coproducteur du film Le Rebondissement , avec Jimmy, de la
Star Ac ...
LE
TITAN - Vers une heure du matin, vous rentrez chez vous, au cap d’Antibes, où
vous avez femme et enfants, mais cela ne nous intéresse plus, le crime ayant
été commis avant .
JULES - A quelle heure ? Qui l’a découvert ?
On m’accuse, et on ne me dit rien .
LE
TITAN - Vers minuit, le maître d’hôtel qui avait pris la commande de Durimel,
et qui lui avait fourni des cigares dans le courant de l’après-midi, s’est
étonné qu’il ne lui ait pas demandé de lui monter son repas froid . Avant de
quitter son service, il a voulu en avoir le cœur net, il a essayé de lui
téléphoner, puis il est allé toquer à sa porte...
JULES
- Il l’a trouvé mort ?
LE
TITAN - Poignardé, sauvagement... la poitrine ouverte par une quinzaine de
coups de couteau .
JULES,
très pâle. - Oh ! mon Dieu, ce pauvre Durimel... Vous croyez vraiment,
commissaire, que c’est moi ?... .
LE
TITAN - Monsieur, il ne s’agit pas de ce que je crois, mais de ce que je note . Vous avez pu le
tuer avant dix heures, ce qui expliquerait qu’il n’ait pas demandé son souper . Vous avez pu le
tuer après onze heures car vous n’avez pas d’alibi...
JULES -
Comment cela pas d’alibi ? Je suis allé à pied de l’hôtel Meynadier, où se
trouvait Lola, à l’hôtel Martinez, où avait lieu la soirée SRF... J’ai croisé des centaines, peut-être des milliers de
personnes...
LE
TITAN - Vous êtes un grand marcheur . Vous n’avez pas de voiture ?
JULES
- Je l’avais laissée à un portier, au Martinez, où j’ai mes entrées . Normal, venant d’Antibes. Un jour de
festival, on circule plus vite à pied qu’en voiture sur la Croisette . Je n’ai
mis guère plus d’un quart d’heure, pour aller du Martinez au Canberra de
Durimel...
LE
TITAN - Et du Canberra de Durimel au Meynadier de Lola ?
JULES
- Ces hôtels sont à deux pas l’un de l’autre, commissaire .
LE
TITAN - Fort bien . Reprenons dans l’autre sens . Vous quittez l’hôtel de Lola
à onze heures . Une ou deux minutes après, vous passez devant l’hôtel où l’on
est en train d’assassiner Durimel . Vous continuez, vous passez devant le
Hilton, devant le Carlton, vous marchez pendant un quart d’heure, vous arrivez
au Martinez à onze heures un quart...
JULES
- Bof!...
LE
TITAN - Soyons large, disons entre le quart et vingt . Comment se fait-il que
votre présence ne soit attestée qu’à partir de minuit ?
JULES
- Parce que vos enquêteurs ont mal fait leur boulot . Il n’ont pas interrogé
assez de personnes . Continuez vos recherches . Un tel m’aura vu à minuit, tel
autre à onze et demie, tel autre au quart . Et puis les festivaliers ne vivent
pas le nez sur leur poignet à surveiller leur montre... Vous ne me piégerez pas avec vos minutages... J’ai lu que vous étiez le phénix du Quai des
Orfèvres, je suis bien déçu, commissaire .
LE
TITAN - Quitte à vous décevoir davantage, il faut que je vous taquine
maintenant sur vos fréquentations . Vous avez une jeune maîtresse que vous avez
installée à Paris, que vous invitez à Cannes pour le festival, qui est votre
complice comme porteuse de mallette...
JULES
- Commissaire, commissaire, permettez ! Tout cela, tout ce que vous dites, sera
peut être évoqué dans le cadre d’une enquête qui n’est pas la vôtre, celle qui
porte sur une prétendue délinquance financière... Mais vous verrez... Mes
avocats prouveront que je suis innocent dans cette affaire, et ils sauront me
mettre à l’abri des dommages collatéraux dont je suis menacé, ayant femme et
enfants...
LE TITAN
- Monsieur le grand bavard, je vous prie de vous taire . Je reprends . Vous
avez une toute jeune maîtresse .qui est votre complice . Vous la gâtez... fort
bien . C’est le premier point . Mais le second, ce qu’il faut que vous
m’expliquiez aussi, c’est votre générosité vis à vis de la clique qui
l’accompagne . Pourquoi
offrez-vous à tous ces jeunes gens un séjour à Cannes ? Vous vous intéressez
aux cités de la banlieue parisienne pour les régénérer ou pour y recruter des
hommes de main ?
JULES
- Monsieur le commissaire, je vous le répète, je suis un simple témoin dans une affaire qui n’est pas
celle dont vous êtes chargé . Je n’ai rien à voir avec l’assassinat qui vous a
conduit ici . C’est pourquoi je ne répondrai à vos dernières questions qu’en
présence de mes avocats .
LE
TITAN - C’est votre droit monsieur le Bienfaiteur de la Cité des Fleurs, mais
permettez-moi de vous dire que vous n’êtes pas dans de beaux draps.
Les
journaux
Il est
vrai que le personnage offrait beaucoup de grain à moudre à tous nos braves
meuniers de l’information .
La
seule évocation de son passé politique fournissait la matière d’abondants
articles . Élu très jeune député des Hauts-de-Seine, puis maire de l’une des
plus grosses communes de ce département, il avait trébuché quelques années plus
tard, accusé d’abus de biens sociaux .
Poursuivi,
condamné, il avait, à force de démagogie, reconquis ses titres et ses
fonctions au terme d’une brève
période d’inéligibilité . Pour réussir cette reconquête, il s’était heurté à de
farouches adversaires, tant dans l’opposition que dans son propre parti, où
celui qui l’avait provisoirement remplacé lui en voulait, disait-on, “à mort” .
D’autres
ennemis étaient apparus à l’occasion des “affaires” qui lui avaient valu d’être
poursuivi. On lui reprochait d’avoir beaucoup joué avec le Plan Local
d’Urbanisme (PLU) . Son tout dernier projet de construction de cinq cents
logement, par exemple, projet auquel collaboraient le sieur Jules et M. de Frossard, avait
soulevé des tollés .
Pour
illustrer ses analyses, ses hypothèses et ses soupçons, la presse proposait
d’éloquentes photographies. Ainsi, l’une montrait le fol enthou-siasme de la
nombreuse et fidèle clientèle de Durimel le jour où il avait de nouveau gravi
les marches du perron de l’Hôtel de ville après une période de bannissement .
Mais une autre le présentait visitant son grandiose chantier sous les huées de
ceux qui estimaient avoir été ignominieusement expropriés .
D’autres
traits du personnage stimulaient l’imagination et la verve des journalistes .
Il semblait établi que Thomas Durimel-Durand était un homme à femmes. A la
mairie, il fondait comme un aigle sur tout ce qui portait jupon sexy ou
pantalon de même tabac . Sa secrétaire et tout le personnel de son cabinet
devaient leur avancement à la promotion dite canapé, mais qui aurait été mieux
nommée promotion bord du bureau ou dos de la porte . Combien de jalousies cette
activité relativement clandestine avait-elle pu susciter ?
Le
Titan ne négligeait pas ces pistes .
Une
équipe à lui poursuivait à Paris et en banlieue des investigations dans tous
les domaines évoqués par les journaux .
Mais
il avait l’intuition que la vérité sortirait de l’enquête qu’il conduisait à
Cannes .
Du
coup fourré au coup dur
Pas
très loin d’eux, Toni et son Caoua sont embarqués dans une autre voiture par
des policiers qu’ils n’ont jamais vus.
Nos
jeunes gens savent que le commissaire Cloutan a obtenu du procureur une
prolongation de la garde à vue . Mais ils ignorent quelle promenade il leur
offre par dessus le marché .
Ils
n’auront pas à se le demander bien longtemps. Les deux véhicules arrivent à
leur camping, l’un s’arrête devant le mobile home, l’autre devant la tente
située à quelques pas de là .
Ils
ont compris, ils sont bons pour une perquise .
- Tant
pis pour le hachisch, mais j’espère que t’as bien planqué la coke, lance de
loin Toni à l’adresse de Riton .
- Ah! ah!
...
C’est
plus fort que lui, il faut tout le temps qu’il en lâche une , ce gros malin .
Grand con !...
Les
adjoints du Titan proposent gentiment à Riton et à Simone de s’asseoir sous
l’auvent pendant que les spécialistes opèrent . Par l’ouverture de la porte, ils les voient sonder le
dessous de l’évier, le frigo, les placards et, en se penchant un peu, ils
aperçoivent leurs vêtements qui tombent en pluie avant de joncher le sol . Les
doigts de Simone tapotent nerveusement les accoudoirs de son siège . Popaul
pose une main amicale sur son bras pour l’inciter à la patience, mais elle lui
jette un regard tel qu’il a tôt fait de battre en retraite .
Devant
la tente, la tâche des fouineurs devrait être facile . Ils n’ont que deux sacs
à dos, assez peu chargés, à retourner et à vider... Mais c’est compter sans
l’intervention de Toni . Il refuse qu’on mette le désordre dans ses affaires, qu’on froisse son pantalon. Ovcorse, le Titi négro braille à l’unisson. Il
pousse les hauts cris quand sa chemise blanche, il n’en a qu’une, tombe sur le
sable...
Il en
faudrait davantage pour perturber les hommes chargés de la perquisition . L’un
d’eux est resté sous la toile .
Soudain,
il en sort, triomphant, avec une superbe mallette au bout de son bras tendu .
Riton et
Bamboula se taisent, tête basse, foudroyés, les secoueurs de sacs cessent de
secouer, l’équipe chargée du mobile home rejoint celle qui détient le trophée,
Simone, Riton et leurs gardiens suivent . Coup d’œil à l’intérieur de la tente
. Le tapis de sol vient d’être soulevé . Près d’un trou assez profond, il reste un sac de plastique : il n’est
besoin d’aucune explication pour comprendre ce qu’était la géniale
cachette de Toni le Cador.
Celui
qui a trouvé la mallette l’ouvre sans peine, la clé étant attachée à la poignée
. Ah! les beaux billets !...
- Dans
les cinquante mille, commente le découvreur, qui semble s’y connaître ..
Riton
et Toni échangent un regard .
- Sale
coup fourré... grogne le mastard .
- Dis
plutôt coup dur, mec .
Et
Bamboula de conclure, sans beaucoup d’origi-nalité, mais pour ajouter son grain de sel :
- Riton a raison, Toni : c’est un
coup dur .
La
plainte de Jules
- La
reconnaissez-vous ?
- Oui,
murmure Lola .
- Non,
dit Jules .
Le
commissaire ouvre la mallette toujours pleine de billets, répète sa question,
obtient les mêmes réponses . Alors il s’enflamme :
-
Nierez-vous, monsieur Jules, que cette mallette est la même que celle que vous
avez envoyée à Darimel, qui contenait, comme celle-ci, la somme de cinquante
mille euros.
-
Cette mallette est bien banale, on la trouve dans tous les magasins, et tous
les billets se ressemblent, commissaire .
En
débitant cette tirade, Jules a échangé un regard avec Lola . Dès qu’il se tait,
elle enchaîne :
-
Euh... monsieur le commissaire, Jules a raison, je ne peux pas dire que je la
reconnais... mais seulement qu’il y a une ressemblance .
-
Votre protecteur vous intimide-t-il à ce point, mademoiselle, il vous fait donc
si peur ?
- Il
n’est pas mon protecteur, commissaire, et il n’a jamais essayé de me faire
peur... Jules est un homme très doux, il n’est dur qu’en affaires .
Pressée
de questions, elle lui rappelle que Jules est pour elle un ami qui lui a trouvé
à Paris un logement, dont il oublie il est vrai de lui réclamer le loyer, en
échange de quelques courses, de même qu’il lui offre des cadeaux, dans le cadre
d’une intimité, disons plutôt d’une vie privée, qui n’appartient qu’à eux, et
toc! .
- Je
vous ai patiemment écouté, revenons sur quelques points, dit le TItan. Celui-ci
par exemple : combien de mallettes ressemblant à celle-ci avez vous livrées .
- Deux
, répond Lola, l’une à M. Durimel, l’autre, c’était avant, à un notaire de Trappes .
-
Celle-ci serait la troisième ?...
-
Permettez... commissaire, intervient Jules, Lola a dû en voir passer chez elle un plus grand nombre, car ce
genre de petite valise me sert souvent, mais pour porter autre chose que de
l’argent .
-
Soit, mais celle-ci, qui contient cinquante mille euros, est bien à vous...
- Non,
elle n’est pas à moi .
Le
Titan frappe le bureau des deux mains, se lève, se penche vers Jules et s’écrie
:
- Vous
avez fini de vous foutre de moi ! J’ai interrogé les amis de Lola avant de vous
convoquer. Le joueur de guitare a bien essayé de me faire croire qu’il
s’agissait de ses économies sur les recettes qu’il réalise dans le métro ... Vous voyez, il a même essayé de vous
couvrir . Mais pour finir, tous se sont mis d’accord pour admettre que vous
leur aviez donné ce joli petit trésor .
-
Donné... donné ... gronde le bonhomme. Non, je ne leur ai pas donné cette
valise, qui n’est pas à moi, mais à un client . Il me l’a confiée pour que je
la transmette à un autre client, et cela relève d’une instruction qui est en
cours, vous le savez bien commissaire .
-
Voulez-vous dire que ces jeunes gens vous ont volé ?
Lola
qui s’agite nerveusement sur sa chaise ne peut se contenir plus longtemps. Elle
lance à Jules :
- Tu
ne vas quand même pas les accuser de vol, mon Biquet ! Tu sais fort bien qu’ils
ont agi par jalousie...
- ç’a
été un malentendu, un quiproquo, une mauvaise farce, un nœud d’embrouilles,
monsieur le commissaire, gémit le bonhomme . De fait, je n’y ai rien compris...
Ils ont rendu visite à Lola, ils ont vu l’argent, ils n’ont pas résisté à
l’envie de me jouer un tour... Mais ils avaient promis de me restituer mon
bien...
- Vous
n’avez pas porté plainte ? s’étonne le Titan . Vous allez devoir le faire
maintenant, pour récupérer ce
magot, avant de l’envoyer à votre client .
En
guise de plainte, et même de longue plainte, le commissaire devra se contenter
de celle qu’exhale le malheureux, pour compatir aux difficultés existentielles
de Lola et de ses amis, mais aussi pour se lamenter sur son sort et sur les
injustes procès qui lui sont faits .
-
Cessez de geindre, lui dit le Titan . Pensez plutôt au jury auquel vous aurez
affaire . Il se montrera plus indulgent si vous reconnaissez sans plus tarder
que vous avez versé cinquante mille euros à un homme de main, à ce fortiche
dénommé Riton, par exemple.
Recherche
d’alibis
-
Nous, ce qu’on veut savoir, dit Paul, c’est où se trouvaient Riton et Toni à l’heure du crime .
-
Ouais... objecte Clarisse, mais vous ne connaissez même pas l’heure exacte du
crime .
-
C’est pourquoi on épluche leur emploi du temps de vingt heures à minuit, dit
Georges .
- Ils
prétendent qu’ils ont des alibis, dit Paul .
- On
doit les vérifier, dit Georges .
- Hi,
hi, hi ! fait Chloé, on va rigoler...
-
Pourquoi ? demandent ensemble les bourrins .
-
Parce que leurs alibis, y sont dans nos petites culottes .
Et
Chloé de tapoter de la main le bras de Clarisse pour l’inviter à pouffer, ce
qu’elle fait de bon cœur.
Comme
elles portent des minijupes et qu’elles croisent haut les cuisses, ces
messieurs ne peuvent s’empêcher de lorgner davantage lesdits alibis . Oh! les
mignons triangles ! L’un est noir, l’autre brodé blanc, l’un et l’autre
moulants...
-
Soyons sérieux, fait Georges.
-
Minute après minute, ajoute Paul, qui s’en tient à ce vertigineux raccourci .
Les
filles ont compris . Elles évoquent les prises de vues de leurs seins et de
leur fesses, toutes deux soutenues
dans les vagues par Riton et par Toni .
Puis,
en termes gentiment édulcorés, elles racontent les douches .
Paul
transpire, Georges passe sa langue sur ses lèvres pour ne pas baver .
- En
somme, ils ne vous ont pas quittées de toute la soirée, parvient à articuler Paul .
-
C’est comme s’ils vous avaient donné la main de vingt heures à minuit, dit Jo .
- Ah!
non... s’exclame Chloé .
Clarisse
précise que le passage aux douches n’était pas prévu . C’est Gabriel qui les a
réunis après le tournage . Mais entre la séance dans les vagues et la fin du
tournage, Chloé a dû refaire au moins vingt fois son entrée dans la mer, avant
le bain de minuit . Fruteau voulait une harmonie parfaite entre la cambrure de
la belle et les gerbes d’eau que sa course soulevait . ça n’en finissait pas...
ça a duré au moins une demi-heure . Clarisse attendait assise sur la plage .
Riton et Toni n’étaient pas avec
elles à ce moment là .
- Il
était quelie heure ? demande George .
-
Autour de onze heures , dit Clarisse .
- Donc nos bouffons n’ont pas
d’alibi, dit Paul .
-
Exact, confirme Georges .
-
Holà! attention ... s’alarme Chloé . Ils n’étaient pas avec nous , mais ils
devaient nous attendre...
- On
n’avait pas de rendez-vous, enchaîne Clarisse, mais la
séance dans les vagues s’étant bien passée, une suite était prévisible...
- Reçu
cinq sur cinq, coupe Georges, jusqu’à onze heures, on en sait assez, c’est
noté, les filles.
-
Maintenant la suite, ajoute Paul .
- Y a
pas de suite, minaude Clarisse, puisque après ils ne nous ont plus quittées...
- Ils
nous ont même serrées de près jusqu’à pas d’heure, plaisante Chloé, mais
l’horaire au-delà de minuit ne vous intéresse pas...
- Ah!
les belles garces que vous êtes, vous aimez vous faire prier, lance Georges .
Paul
ouvre de grands yeux qu’il fixe sur son collègue pour lui reprocher sa
maladresse, mais il a tort . Ces demoiselles ne détestent pas qu’on les traite
de belles garces . Elles ne les feront pas trop longtemps languir.
- On a
bien rigolé, fait Clarisse.
-
Surtout quand on leur a sorti nos gadgets, glousse Chloé à mi-voix.
- On a
le drapeau étoilé, le tricolore, le bariolé, et aussi Mickey, l’oncle Sam,
Terminator, Kung-Fu, et aussi des fusées, des bolides...
-
C’est quand qu’on rigole ? demande Jo .
- De
quoi vous parlez ? demande Popaul .
- De
nos capotes, faites pas les naïfs, dit Chloé .
- Des
préservatifs de luxe, purement américains, tout droit venus de Los Angeles, dit
Clarisse...
Ces
messieurs aimeraient voir . ça tombe bien, elles n’ont pas épuisé leur stock .
Elles en ont dans leur sac. Des
menus sachets de toutes les couleurs. Chloé gonfle une tête de bison, avec ses
cornes, Clarisse une clarinette, avec ses clés . . .
-
Chiche qu’on les essaye, plaisante Jo.
- T’es
pas cap ! lui lance Chloé .
- Moi
j’pourrai pas, fait Popaul , craintif .
-
Dégonflé ! laisse tomber Clarisse
.
Un
qu’est gonflé, c’est Jo, de même que la tête de bison que Chloé lui propose . Y
dégrafe son falzar, dans sa hâte fait sauter un bouton, puis se ravise... Sûr
qu’il a l’imaginative aussi fébrile que les doigts... Sort de sa poche la clé
de la pièce, va fermer la porte à double tour ... Pour le cas où... Quand on
n’est pas chez soi... Laisse glisser son futal... Son calcif à fleurs... Écarte
les pans de sa chemise ... Croise les mains sous ses couilles, et hardi petit !
y présente les armes .
- Hou!
hou!... le beau nœud, la belle biroute, rient les filles , en poussant des
petits cris .
-
J’peux faire mieux, mais faut qu’tu m’aides, commence à haleter Jo en
s’agrippant à Chloé . Tiens, regarde...
De
fait , quand il lui met la main dans le slip, son mandrin frémit et semble
enfler d’un cran, un autre quand il caresse sa minette, un autre quand il
plonge au bas de son pubis, un autre quand il la tient dans le creux de sa
main...
-
Attends, attends... dit-elle .
Elle
se détache de lui pour mettre en place la tête de bison, aux dangereuses
cornes, au mufle effrayant, car il est bien membré, le bougre .
- Où
qu’on s’met, où qu’on s’met... s’étrangle-t-il, tant il en peut plus d’attendre
.
-
Laisse-moi faire, je nous vois, je nous vois... fait Chloé, avec dans l’œil cet
éclat qui devait être dans celui d’Archimède lorsqu’il s’écria “Eurêka”.
Il
s’agissait de la loi de la pesanteur, ne nous égarons pas, d'Archimède, Chloé n’en a cure . Légère, elle se
dénude, se saisit d’une chaise, pose dessus un pied... Debout sur une jambe,
une jambe pliée, elle élève les bras, et se cambre, et généreusement s’offre,
en s’ouvrant par un lent mouvement de sa cuisse levée .
Jo la
pénètre . Jo donne des coups de reins . La diablesse l’accompagne avec
d’habiles génuflexions parfaitement synchro . Elle lui souffle à l’oreille :
- Oui,
Jo... Oui... Tape, tape plus haut, plus haut !
Bras
jetés en arrière, c’est vrai que sa cambrure est superbe.
- Plus
haut, plus fort !...
Et lui
besogne, et lui cogne, comme pour briser le dôme du monument baroque qui les retient sur terre . Laissons-les, ils vont jouir.
Quelle
tristesse de devoir clore ce paragraphe par la description du spectacle
lamentable qui a lieu à côté . Soyons bref . Sans fioritures.
Clarisse
a ouvert la braguette de Paul . Elle a essayé de plaisanter :
- Une
bite ça s’appelle bien un Popaul, c’est marrant de pouvoir dire : “Je tiens
dans ma main le Popaul à Popaul “.
Hélas,
dans une seule main, et trop mou pour se transformer en clarinette . Elle n’a
même pas pu essayer de lui en jouer un air .
- Pourtant
le samedi, avec ma femme, je bande, se lamente le malheureux, et j’te jure que
t’es plus belle qu’elle, Clarisse, j’te jure que je voudrais, maisj’ peux
pas...
Nous
sauterons la photo de la petite chose qu’elle tenait pour finir entre le
pouce et l’index... Pouah !
Elle
mécontente, lui déçu, ils tournent
le dos à leurs impétueux compagnons pour se consacrer au procès-verbal du
témoignage de ces demoiselles .
-
Donc, écrit Paul, autour de onze heures, disons de onze heures moins le quart à
onze heures un quart environ, lesdits Toni et Riton n’ont aucun alibi...
- On
n’a jamais dit ça ! s’écrie Clarisse, agressive . On a dit qu’ils ne nous
donnaient pas la main à cette heure-là . D’autres ont dû les voir. Ce qui est
sûr, c’est qu’ils avaient plus la tête à faire la fête qu’à préparer un mauvais
.coup...
Paul
corrige docilement .
Quand
elle a repris son souffle, Chloé confirme la déposition de Clarisse, et Jo, en
se reculottant, félicite son collègue pour sa diligence .
Chloé
trouve que Jo parle rudement bien.
Clarisse
pense qu’il exagère .
Durimel
et les femmes
Que
lui apprennent-ils ?
Les
pistes conduisant à des femmes que la victime avait séduites sont nombreuses.
Et prometteuses . L’une d’elles plus particulièrement .
Le
riche banquier Gontran Dujardin et sa femme Hélène possèdent à Reuilly, dans un
quartier huppé, une superbe maison sur un grand terrain bellement arboré . Mais
Gontran voulait mieux, à savoir un manoir avec une tour, une orangerie, une
piscine, autant d’aménagements que les règlements municipaux ne permettaient
pas de réaliser . Alors, pour servir son mari, Hélène entreprit de circonvenir M. le Maire, qui seul pouvait mettre en branle une modification du PLU
(plan local d’urbanisme) . Ce qu’il promit . A condition qu’elle passât dans
son lit . Ce qu’elle fit . Ce que Gontran apprit . D’où fâcheries, rupture , et que nib côté PLU .
Sombre
et menaçant, le cocu, replié dans sa demeure intransformable, avec sa femme
humiliée et ses plans mirifiques à payer, aurait ruminé, disait-on, une
horrible vengeance .
Avec
des X à la place des noms et prénoms d’Hélène et de Gontran Dujardin, les
journalistes avaient raconté cette histoires .
Ils
étaient sur les traces d’autres jaloux .
Ils
s’intéressaient aussi à un réseau de call-girls fort prisé de Durimel et qui
comptait quelques prestataires dont les services n’avaient pas été rétribués,
M. le député-maire estimant, disaient-elles, “que tout lui était dû gratos”.
A
défaut d’arc, l’une de ces fières amazones modernes aurait-elle armé son bras
d’un couteau ?
La
plus raisonnable
LE
TITAN - Mademoiselle, c’est parce que vous me semblez être la plus réfléchie de
votre groupe que je vous ai fait venir en premier . Il faut que je connaisse
mieux les cinq olibrius dont vous faites partie pour essayer de partager les
responsabilités dans l’affaire qui nous occupe .
SIMONE
- Nous sommes tous les cinq solidaires et également responsables, commissaire .
LE
TITAN - Jolie formule, bien tournée, (sévère) mais je ne m’en contenterai pas .
Ledit Toni vole cinquante mille euros d’argent sale, notez cela, d’argent
provenant de malversations . Il transporte la mallette contenant cette somme de
Paris à Cannes, pour venir l’enterrer dans un terrain de camping . Celui à qui
semble appartenir ce trésor est gravement impliqué dans une affaire d’atroce
assassinat . Nous avons sur les bras un cadavre éventré, frappé de quinze coups
d’arme blanche... Vous sentez-vous coresponsable, mademoiselle ?
SIMONE
- Non. Au demeurant, il n’y a aucun rapport...
LE
TITAN - Entre le crime et la mallette ? Qu’en savez-vous ? Votre ami Toni avoue
le vol . Votre amie Lola reconnaît avoir porté une mallette exactement
semblable à la victime ...
SIMONE
(avec un soupir ) - Les apparences sont contre nous, commissaire .
LE
TITAN - Cessez de dire “nous” . Voyons Toni, par exemple, le plus suspect .
D’heure en heure, mes lieutenants de Paris me fournissent de quoi remplir sa
fiche... Boxeur, guitariste des rues, petits métiers, le plus souvent sans
emploi... Quel rapport avec vous, professionnelle ponctuelle, appréciée ?...
SIMONE
(après un silence) - Je vais tout vous dire, M. le commissaire, bien que cela
me gêne... pour que vous nous compreniez, tous les quatre, et maintenant cinq avec
le petit Bamboula ...
LE
TITAN (consultant une fiche) - Le petit Bamboula, dites-vous... Voyons cela :
1, 78 mètre ...
SIMONE
(avec un sourire) - Oui, il est plus grand que moi ... Mais revenons à Toni ... Nous étions
ensemble
en classe de troisième, Toni et moi ... C’est cette année-là que ... que nous
nous sommes aimés...
LE
TITAN - Vous me parlez bien de Toni ?
SIMONE
- Oui, commissaire, de Toni... Nous nous sommes aimés vraiment, alors même que
nos chemins se séparaient, parce que j’étais bonne élève et lui souvent absent
... Que dire de plus ? Toni, c’est une force qui va... mais il manque de
constance . Le sportif m’a déçue, le musicien m’a déçue...
LE
TITAN - L’amant vous a déçue... Je le sais, mes hommes mènent une enquête dans
votre cité . Ce Toni est un don Juan de banlieue, un caïd au petit pied malgré
sa corpulence...
SIMONE
- Vous parlez, monsieur, de notre quartier comme s’il s’agissait de l’une de
ces cités sensibles... mais pas du tout !
LE
TITAN - Ne nous égarons pas, je vous prie... Vous vous séparez de Toni qui se
rabat sur Lola... Vous rencontrez Riton, garçon sérieux...
SIMONE
- Qui vient de quitter Lola, oui commissaire, il y a eu ce chassé croisé, et
nous sommes tous les quatre restés bons amis, parce que... parce qu’il n’y a
plus de moralité dans nos cités !...
LE
TITAN - Je vous prie de garder vos traits d’ironie pour d’autres circonstances,
mademoiselle. Nous avons aussi le jeune Bamboula...
SIMONE
- Un ado à la dérive, que Toni, qui a un grand cœur, protège...
LE
TITAN - Un ado qui dévore des yeux
votre amie Lola... Votre amie qui
a donc été la maîtresse desdits Riton et Toni, avant de devenir une fille entretenue, maîtresse et complice d’un riche agent immobilier.
Que pensez-vous d’elle, mademoiselle?
SIMONE
- Elle est mon amie mais nous sommes différentes . Lola est charmante, naïve,
frivole, ce qui ne l’empêche pas d’être sérieuse, travailleuse et foncièrement
honnête, j’en mets la main au feu .. Elle a un cœur d’or... Bref, elle est mon
amie, je l’aime... Parlez lui, monsieur le commissaire.... Par sa simplicité,
par sa sincérité, elle vous convaincra .
LE
TITAN - Un dernier mot pour finir, une simple formalité, votre alibi...
SIMONE,
les yeux soudain embués de larmes. - Je préfère pas...
LE
TITAN - Nous avons ici le témoignage d’un assistant de M. Fruteau, le sieur
Gabriel...
SIMONE
, essuyant à deux mains ses yeux . - Je confirme, monsieur, oui, je confirme...
LE
TITAN - Mais je ne vous ai rien lu ! (Hésitant.) C’est comme vous voudrez .
(Après un silence.) Quel souvenir garderez-vous de ce festival, Simone ?
SIMONE,
dont les pleurs redoublent . - Très mauvais... Je ne suis pas comme ça,
monsieur, je ne suis pas comme ça...
Le
commissaire Cloutan quitte sa chaise et se dirige vers elle pour l’inviter à le
lever . Puis il pose un bras sur ses épaules pour la reconduire vers la porte,
mais en prenant tout son temps, en ménageant des pauses, en lui donnant
plusieurs fois du “ma petite Simone” pour lui expliquer que sa déposition va
beaucoup l’aider, tout cela afin qu’elle se reprenne et qu’elle sèche ses
larmes avant de regagner les couloirs.
Révélations
Il
convoque Lola .
LOLA -
Je vais tout vous dire commissaire...
LE
TITAN - J’espère bien, mais laissez-moi vous poser des questions. Ce que je ne
comprends pas...
LOLA -
C’est le coup de la mallette .
LE
TITAN, conciliant - Oui .
LOLA,
refermant son décolleté. - C’est délicat...
LE
TITAN - Je vous écoute.
LOLA,
tirant sa minijupe vers ses genoux - Très délicat...
LE
TITAN - Faites un effort.
LOLA -
D’autant plus délicat que maintenant j’éprouve pour Bambou un vrai sentiment
...
LE
TITAN - Vous êtes bien sûre, mademoiselle, que nous ne sortons pas du sujet..
LOLA,
avec un sourire désarmant, un regard lumineux - Je l’aime autant qu’il m’aime,
monsieur le commissaire, mais depuis peu... Avant il m’importunait, ce gamin...
Les sentiments vous savez...
LE
TITAN - Stop, Lola, stop ! Cessez cette comédie ! Ne vous faites pas plus
idiote que vous n’êtes... Parlez-moi de la mallette qui a été volée chez
vous, à Paris, au sieur Jules .
LOLA -
Eh bien, justement, à l’origine de cette affaire il y a Bambou... Mais c’est
très délicat .
LE
TITAN, sévère - Lola, je vais me fâcher.
LOLA -
Eh bien, Bambou a chopé une blennorragie.
LE
TITAN - Quoi ?
LOLA -
C’est le vrai nom, autrement dit...
LE
TITAN - Non, non, ne le dites pas autrement, venons en plutôt à la mallette...
LOLA,
à mi-voix, les joues en feu - Le point délicat est là... C’est moi qui lui ai
filé la bactérie, au pauvre chou... (Elle se tait.)
LE
TITAN - Oui, je vois . Continuez je vous prie !
LOLA -
Les autres, mes amis, ont pensé que Jules était coupable... Ils ont décidé de
le punir, en le mettant à l’amende, et par hasard, ils ont trouvé la mallette .
Ils l’ont emportée sans intention de la garder. De toute façon, il l’aurait rendue...
LE
TITAN - Oui, je vois, je vois...
LOLA -
Non, monsieur le commissaire, vous ne voyez pas... parce que ce n’est pas
tout... Après ce coup de Trafalgar il y a eu un coup de théâtre... Mais ça
devient de plus en plus délicat...
LE
TITAN - Je vous écoute .
LOLA -
Jules n’est pour rien dans... dans la transmission de l’infection . Je m’en
suis rendu compte...
LE
TITAN - Comment cela ?
LOLA -
Avec doigté .
LE
TITAN - Et alors?... Qui est à l’origine ?...
LOLA -
Un notable dégoûtant, commissaire . Il est mort, paix à son âme... Mais quand
même, on ne peut pas dire le contraire, c’était un vilain bonhomme, Monsieur le député-maire Thomas
Durimel-Durand .
Le
commissaire en convient et décide de remettre à plus tard la poursuite de
l’audition .
Politique
et Affaires embroussaillées
Quant
à lui, il doit se consacrer aux nouvelles qui lui parviennent de Paris .
Un
événement s’est produit, qui a enflammé la verve des journaux et stimulé l’ardeur des hommes qu’il a
sur le terrain . De quoi s’agit-il ? De la mise en examen, pour abus de biens
sociaux, de Robert Pelvert . L’intérêt que la presse et la police accordent à
cet individu tient au fait qu’il s’agit de la personnalité politique qui avait
pris la place de Durimel lorsque celui-ci avait été écarté une première fois du
pouvoir pour délinquance financière . Devenu provisoirement maire, Robert
Pelvert avait malhonnêtement joué avec des appels d’offres concernant de gros
marchés publics . Simples soupçons... La présomption d’innocence... Le tintouin
habituel . Une information qui aurait été reléguée au bas de la colonne des
petits faits divers si ce Pelvert avait suppléé un notable moins connu que
celui qui venait d’être assassiné . Mais c’était bien du remplaçant de Durimel
qu’il était question, de Durimel qui traînait derrière lui tant de
casseroles, de Durimel que Pelvert
n’aimait pas... Il y avait plus .
Pelvert avait été dénoncé par des lettres anonymes et les officiers de police
diligentés par le commissaire Cloutan avaient établi déjà que Durimel en était
l’auteur . Un journal du soir, plus hardi que ses confrères, notait que Pelvert n‘avait pas d’alibi...
Le
commissaire aurait peut-être accordé plus de temps à ce prévenu, dont la photo était à la une de tous les quotidiens, s’il avait
eu le nez aquilin et les joues creuses du premier visiteur à Cannes de la
victime . Mais Robert Pelvert avait cette face lunaire et ces rondeurs républicaines
qui sont l’apanage de bon nombre de nos chevaliers de la politique et des
affaires réunies .
Griffures
et coups de dents
Georges
et Paul vont recevoir Lola . Ils sont irrités . Ils viennent d’interroger Toni,
et ça s’est mal passé . Ils ont voulu lui parler de la chaude-lance de Lola et
du Titi négro, il leur a répondu que ça ne l’intéressait pas de savoir s’ils
portaient, eux, officiers de police, des slips propres . Avec des raisonnements
pareils... Ils ont voulu lui faire
préciser son alibi... Il les a
priés de relire sa précédente déposition ... Puis il s’est levé de sa chaise,
ils ont dû s’y mettre à deux pour le rasseoir et quand ils en ont eu marre de
le maintenir assis, ils ont dû le laisser repartir sans en avoir rien tiré.
Alors
ils sont à cran . C’est Lola qui va payer . Ah! celle-là, y vont pas la louper,
y vont s’la faire . D’autant qu’ils sont armés . Suréquipés pour la confondre .
D’abord, et d’une, le patron a fait le point avec eux sur son compte . Et
deusio, après le passage de Toni, le compte rendu de l’autopsie leur est
parvenu...
Un
agent en tenue fait entrer la malheureuse .
Popaul
l’invite a s’asseoir, illico Jo passe à l’attaque, la bouche en biais, sourcils
froncés .
-
Alors comme ça, lui dit-il, t’en es une qui pense qu’à coucher, salope .
- Oh
!... fait Lola
- Pas
étonnant si t’as des maladies honteuses ! Tu couches avec Toni, tu couches avec
Riton, tu couches avec un bougnoul, avec un pépère déplumé, avec un
macchabée...
-
Avant qu’on l’éventre, faut reconnaître, ajoute Paul qui tient à en placer une
amusante .
- Oh !
fait Lola .
- Dis
que c’est pas vrai ! crie Jo, dans sa hâte de faire monter la mayonnaise .
- Vous
racontez là ... en deux mots, toute ma vie, gémit la pauvre fille; ce qui fait
que ça à l’air, comme ça... en mélangeant ce que j’ai vraiment voulu et ce qui
a été accidentel... que, encore de plus, vous traitez le petit Bamboula de
bougnoul !...
- Oh,
oh, oh ! ... l’interrompt Jo . Shut up! autrement dit, ta gueule ! T’es pas là
pour nous faire un discours, mais pour répondre à nos questions .
- A
quelle heure exactement ledit Jules t’a-t-il quittée le soir du crime, enchaîne
Popaul . A quelle heure ton bougnoul est-il arrivé ?
- Je
l’ai dit mille fois, à onze heures .
-
Ouais, mais maintenant qu’on a le résultat de l’autopsie, reprend Jo, on veut
des précisions... à la minute près, vu que, en moins de trois minutes, un
bougnoul ça vous plante un bourge .
- Si
vous répétez encore une fois “bougnoul”, proteste Lola, je réponds plus un
mot...
Alors
Georges s’emporte pour défendre son droit à choisir le vocabulaire qui lui
plaît, Paul en revient à l’horaire dont dépend l’alibi du jeune Bamboula mais
aussi l’alibi dudit Jules . Ils ne cessent leurs assauts que lorsqu’elle a la
larme à l’œil . Mais la trêve dure peu .
L’autopsie
a révélé que la victime avait sous
les ongles de ses mains des lambeaux de peau arrachés à son agresseur . La
comparaison de l’A.D.N. de feu Durimel et de celui de chaque suspect s’impose .
- Tu
vas ouvrir ta gentille petite gueule, on va te faire un prélèvement de salive,
annonce Georges .
Paul
farfouille dans la trousse adéquate, trouve le matériel nécessaire et procède à l’opération .
-
Comme ça je ne me suis pas déplacée pour rien, sourit Lola, pensant en avoir
fini .
- Tu
as l’air bien sûre de toi, grogne Jo.
- Non
mais... vraiment, vous pouvez m’imaginer, avec un couteau d’éventreur à la
main...
- On
en a vu d’autres...
Jo
n’est pas du tout content . La séance n’a pas tenu ses promesses . Il se sent
privé d’une bonne tranche de rigolade . C’est qu’il est dur leur métier. S’il
n’y avait pas de temps en temps quelques compensations... Lola se lève de sa
chaise, croyant la réunion terminée...
L’idée
géniale, l’idée jubilatoire, qui va inonder Jo de bonheur, naît dans le cerveau
de Paul .
PAUL -
Un dernier point, mignonne . Faut qu’on vérifie si tu ne portes pas des traces
de griffures .
LOLA,
tendant les bras - Regardez .
GEORGES
- T’as les bras nus, d’accord . Mais le reste, comment savoir ?
LOLA -
J’vais quand même pas me mettre à poil !
PAUL -
Et pourquoi non ?
LOLA -
Alors, appelez une femme... Une femme de la police .
GEORGES
- On n’en a pas sous la main...
PAUL -
On n’est pas chez nous ici .
LOLA -
Mais puisque vous aurez l’A.D.N. ...
PAUL -
On va pas attendre le résultat de l’analyse...
GEORGES
- Nous on diligente nos enquêtes, on n’a pas de temps à perdre, tu te décides ?
LOLA -
D’accord, mais rien que le haut... ( Elle ôte son tee-shirt.)
GEORGES
, ses mains sur les seins nus de Lola - Ils sont fermes et de bonne tenue, mais
on n’est jamais trop prudents, une trace suspecte pourrait se cacher dessous...
Eh! Popaul, vérifie à ton tour...
PAUL,
palpant - Non, rien à signaler .
Bon Dieu! c’qu’y sont doux !... On en mangerait...
GEORGES,
rigolard - Moi, j’me contenterais de les sucer, mais le temps nous manque,
passons aux choses sérieuses. (A Lola.) Maintenant le bas.
LOLA -
Jamais !
PAUL -
Quand il s’agit de sexe, les griffures sont souvent au haut des cuisses... Faut
qu’on voie .
LOLA -
Jamais !
GEORGES
- Comment ça, jamais ? Tu ne vas pas nous obliger à nous servir de notre force
?
LOLA -
Attention, je vais crier !
GEORGES
- Attention, je vais te mettre une main sur la bouche et de l’autre je fais
sauter ton string!
PAUL,
bégayant d’émotion - Eh! eh! eh!.... sans compter que...que... je peux donner
un coup de main...
LOLA,
faisant tomber sa minijupe -
Salauds !
GEORGES
- T’enlèves aussi le string . .
PAUL -
Il est noir... Faut qu’on voie .
LOLA,
ôtant son string - Après tout j’m’en fous .
GEORGES,
rigolard, et pointant du doigt le pubis de Lola -
Regarde bien Popaul, et note pour le rapport: Vestige de toison pubienne en forme
de...
PAUL -
En forme de coiffure d’Iroquois...
GEORGES
- En forme de brosse à reluire.
PAUL,
tendant la main - Faut que je
sente si ça gratte...
LOLA -
N’approchez pas ! (Elle recule jusqu’au mur.)
GEORGES
- T’as fini de faire la mijaurée ! Tu sais pas ce qui t’attend ! On constate
que t’as pas de griffures, soit . Mais nous, on fait pas not’ boulot à moitié,
on n’est pas des saboteurs... La loi nous y oblige, faut qu’tu subisses une
fouille corporelle...
( Un
superbe doigt d’honneur complète sa pensée.)
PAUL,
ravalant sa salive pour ne pas baver - Oh oui, oh! oui, c’est vrai, c’est la loi...
LOLA,
un bras sur ses seins, une main sur son sexe - Je refuse !... J’exige la
présence d’une femme... une femme de la police...
GEORGES
- Mais pour qui elle se prend !... Mais qu’est-ce que tu crois !... On est de
la crime, nous, de Paris... On n’a pas de femme ici !. Tu crois tout de même
pas, au prix où est le TGV, qu’on va en faire venir une juste pour te mettre un
doigt dans le cul et l’autre dans la foufoune... Tu te rends compte des frais!
Tu penses à nos impôts!...
PAUL ,
avec un doigt d’honneur - Surtout qu’on ne refuse pas de le faire...
GEORGES
- Si tu préfères, on peut mener nos recherches du bout de la quiquette..
LOLA -
Vous allez pas me violer l’un après l’autre!
PAUL -
Tout de suite les grands mots !
GEORGES
- Elle a raison Popaul, rien ne vaut un gentleman’s agreement... Elle a pas l’air de vouloir qu’on
la baise, c’est pas son heure, d’accord .. On la tient quitte de tout si elle
nous fait une petite gâterie...
PAUL,
l’œil rivé sur Lola, déçu - Tu
crois?...
GEORGES
- Attends, on va rigoler... (Il sort de sa poche un préservatif.) Regarde Lola,
c’est le cadeau d’une copine... C’est américain... ça représente une locomotive
à vapeur... Regarde... (Il ouvre sa braguette, sa bite jaillit.)
Impressionnant, non! Je bande comme un âne du Poitou... mais avec la capote, on
se croirait au far west . Écarte les cuisses Lola, et tu pourras dire que tout
le monde t’es passé dessus, même le train...
LOLA,
terrifiée - Mais vous disiez que... que non...
GEORGES,
haletant - T’as raison, tu me tailles une pipe et j’te tiens quitte ...
PAUL -
Et moi ?
GEORGES,
tirant un autre préservatif de sa poche - Tiens, équipe-toi . (A Lola.) Allez,
à genoux...
LOLA -
Je refuse . J’aime pas le goût...
GEORGES
- Quel goût ! Je prends la peine de mettre une capote américaine, et la voilà
qui fait la bêcheuse, la pimbêche... A trop discutailler, elle va me faire
débander la salope ! (Il pose ses lourdes mains sur les épaules de Lola .) A
genoux !
Lola
tombe à genoux . Georges la prend par les cheveux pour la rapprocher de lui .
Elle se laisse attirer, ouvre ses lèvres, jette sa tête en avant... Et elle lui
mord la bite, à pleine bouche, de toutes ses forces, trois fois, jusqu’au sang
. Il pousse un horrible hurlement .
Ensuite,
tout se déroule en un éclair... Georges lève la main pour la gifler... Sa main
épaisse, énorme, lourde, menaçante... Paul se précipite... Bloque haut la main
vengeresse... Lola a le temps de reculer, puis de se relever.
Georges
rugit sourdement . Paul lui conseille d’éviter la bavure et de penser à se
soigner. Lola se rhabille, en trente secondes c’est fait . Paul lui ouvre la
porte .
Une
audition s’achève sans que l’enquête ait beaucoup progressé.
Au
clair de la lune
- Il
faut qu’on se parle, dit Simone .
- Je
ne crois pas, répond Riton .
Ils
ont sous les yeux non seulement les lumières de Cannes mais tout le golfe de La
Napoule . Dans le lointain, on devine l’Esterel . A leurs pieds meurent en
clapotant les vagues .
-
Dis-moi les vers que la mer te rappelle ? demande Riton
- Les
vers de terre ou les verres à boire ? ricane Simone .
La
méchante entêtée ! Cette ironie, c’est le biais qu’elle choisit pour affirmer
son intention d’évoquer franchement leur soirée coquine, afin qu’ils se
pardonnent et se promettent d’oublier .
- La
mer qu’on voit chanter... fredonne Riton.
-
Flots profonds, redoutés des mères à genoux... murmure Simone .
- T’es
pas dans la note, regarde autour de toi, la poésie du paysage, plaisante Riton
. Trouve-nous quelque chose de moins rude... Comme, je sais pas : “Homme libre,
toujours tu chériras la mer “ ou “La mer, la mer toujours recommencée”...
- Si
tu veux dire “Homme libre, je recommencerai à lutiner les p’tites pétasses qui
passent”, parlons-en .
- Tu
veux qu’on parle aussi des talents de metteur en scène, dans le privé, de ton
assistant de première classe...
- Mais
bien sûr, je suis prête à tout t’avouer, parce que j’ai honte et que je
regrette .
Un
silence . Et Riton cède .
- Je
regrette aussi mes fredaines, dit-il, je n’ai pas l’intention de recommencer,
et pour ce qui est de toi, je te pardonne, ma Simone, c’est ce que tu voulais
entendre ?
Elle
soupire, lui prend la main, la baise, puis se sert de cette main qu’il lui
abandonne pour essuyer ses larmes . Alors, ému et se penchant vers elle, il trouve mille mots pour lui
dire à l’oreille qu’elle doit comme lui vite oublier ce qu’il considère comme
des péchés véniels.
Il a
fait un pas vers elle, elle en fait un vers lui, en acceptant de ne plus parler
de ces événements qui ont finalement constitué pour eux des alibis .
Elle
lui demande :
- J’en
ai assez du festival, je voudrais repartir, et toi ?
- Moi
aussi .
- Tu
crois que Jules est le coupable ?
-
Ouais, avec un complice peut-être, ce type au nez aquilin et aux joues
creuses...
-
Vivement que l’enquête soit close !
Riton
est d’accord avec elle... C’est à peine croyable, mais là, avec Cannes sous les
yeux et la Grande Bleue murmurante à leurs pieds, ils ont, dans le fond, la nostalgie de la Cité des Fleurs . Et
du train-train quotidien . Quoique, pour ce qui est de lui, il retrouvera sans
joie son poste derrière sa machine à photocopier...
- Tu
n’en as plus pour longtemps, mon
chéri, plaisante Simone . Tu vas recevoir bientôt ton affectation pour un
stage...
-
Ouais, fait Riton sans enthousiasme .
- Je
vais te faire rire, poursuit-elle . Sais-tu ce qui me tourmente ? C’est plus
tard... quand... tu vas rire, quand nous serons logés dans une gendarmerie. Il
faudra que je trouve à proximité une place . No problème pour une bonne
coiffeuse . Mais plus tard...
La
fraîcheur de la nuit les incite à prendre le chemin du retour . Ils marchent serrés
l’un contre l’autre . Passe un taxi . Par miracle il est libre et s’arrête... Une vraie petite folie compte tenu de l’état
de leurs finances .
Dans
la voiture, elle poursuit son bavardage... Plus tard, la difficulté pourrait
venir du superbe salon qu’elle saura créer et faire prospérer . Que faire si
monsieur le gendarme, pour réussir sa carrière, doit changer de garnison?
Riton
entre dans le jeu et enchaîne :
- Que
faire du salon et que faire des enfants ? Nous en aurons quatre ou cinq . C’est
ennuyeux de les changer d’école...
-
Tu penses à tout, je t’aime .
- Je
t’aime aussi .
Le
taxi s’arrête . Ils n’ont pas vu le temps passer. Ils n’ont qu’une hâte,
s’enfermer dans leur mobile-home ... A peine entrés, Riton demande :
-Veux-tu
qu’on s’entraîne ? .
-
Qu’on s’entraîne à quoi ?...
- A
faire le premier... le premier enfant .
- Oui,
mon amour .
6 - L’enquête déraille,
Ceux
sur qui ont pesé les premiers soupçons restent en bonne place, tant dans les
quotidiens que dans les magazines . Parmi eux figurent toujours le sieur Jules
et son ami M. de Frossart, bien que leur A.D.N. ne soit pas celui des lambeaux
de peau trouvés sous les ongles de la victime . Ils avaient eu peut-être un
complice, l’homme au nez aquilin et aux joues creuses, par exemple . Ils
avaient aussi pu recourir aux services d’un tueur . Sa rétribution n’aurait
posé aucun problème, vu le nombre de pots de vin dont on découvrait chaque jour de nouvelles traces dans les
affaires que traitait Durimel .
La
piste des jaloux n’était pas abandonnée, bien au contraire . Un certain Henri
Hardouin tenait la corde depuis que l’on avait appris qu’il avait été condamné
pour coups et blessures à la suite d’une querelle pour une place de parking .
Venait
ensuite la cohorte des gens spoliés ou soi-disant tels par les opérations
immobilières du député-maire . Son dernier projet consistait à édifier un
quartier chic dans une zone jugée par lui méconnue, dégradée, avec peu
d’habitations et beaucoup de terrains en friche . Mais pour libérer
complètement le site, il avait fallu exproprier quelques grincheux dont la
presse publiait les portraits, les motifs de leur insatisfaction et leurs
revendications .
Par
ailleurs, de nombreux articles étaient consacrés au fonctionnement de la police
et de la justice. Comment Durimel, soumis au contrôle judiciaire, avait-il pu
préparer son voyage, prendre l’avion, débarquer à Cannes en plein festival sans
éveiller l’attention de ceux qui étaient chargés de le surveiller ? De quelles
complicités avait-il bénéficié? Un simple quidam aurait-il été aussi libre de
ses mouvements? Autant de questions qui ne laissaient pas indifférents ceux
qu’elles visaient.
Mais
les hommes du commissaire Henri Cloutan, restés à Paris, n’avaient pas besoin
de la stimulation de la presse pour poursuivre avec obstination leurs
recherches tous azimuts .
A ce
jour, ils n’avaient rien trouvé de décisif .
Oh !
les cafteuses, oh ! les coquines
Clarisse
et Chloé demandent à être entendues par ces messieurs les officiers de police,
Paul and Jo . Pour elles, ils se rendent aussitôt disponibles . Ils les
accueillent gaiement, surtout Jojo .
Clarisse
a les seins nus, ovcorse, sous un mini débardeur aux larges emmanchures, Chloé
idem, pour l’imiter, l’une et l’autre avec des jupes réduites aux ceintures,
les épaules bronzées, la lèvre humide et l’oeil pétillant à damner un saint
- On a
des révélations à vous faire, déclare Chloé .
- Sans
rire, confirme Clarisse .
- Du
sérieux, sérieux... reprend Chloé.
- Qui
peut relancer l’enquête, ajoute Clarisse .
Jo
soupire, renonce à leur demander ce qu’elles deviennent, en particulier Chloé,
depuis la dernière fois qu’ils se sont rencontrés . Il renonce en même temps aux suggestions joyeuses que son
imagination commençait à lui proposer, mais on ne se refait pas, n’est-ce pas, le
devoir avant tout, il s’assied à la table pour
enregistrer une nouvelle déposition.
Popaul
est un peu dans le même état d’esprit, pas tout à fait cependant, car il garde,
dans un coin de son âme, comme une ombre funèbre, le souvenir de son impuissance face à la belle
Clarisse . Il se penche sur le dos de son collègue, comme pour l’assister dans
son travail d’écriture, en vérité pour se donner une contenance .
- Nos
infos valent leur pesant d’or, reprend Chloé en esquissant un pas de danse .
- Mais
ce sera donnant donnant, dit Clarisse qui, imitant sa compagne, se dirige en
papillonnant vers la porte pour la fermer au verrou .
- Si
vous pouviez être plus précises, fait Jo, la gueule en biais, hésitant entre la
réprimande et l’envie de rigoler .
Alors,
jouant les vahinés, les belles tournicotent autour de ces messieurs et leur offrent un très beau
strip-tease intégral. Un effeuillage que Chloé émaille de quelques explications
: “ C’est rapport à Clarisse... Elle en dort plus... Elle doute d’elle... Son
honneur est en jeu ... Elle demande une seconde chance... Elle veut savoir
si vraiment elle est pas cap de
faire se lever le Popaul à Popaul... “
- Oh !
non, non... mesdemoiselles, non... Je suis seul responsable... balbutie Paul .
-
Allons-y, gars, dit Jo en se levant et en administrant une tape sur le dos de
son compagnon, fais leur voir c’que tu sais faire !
Mais
déjà les filles l’entourent, font sauter ses chaussures, glisser son falzar,
son caleçon, et pour qu’il n’ait pas l’air godiche, disent-elles, lui ôtent sa
chemise . Le voilà en chaussettes,
pour le reste nu comme un ver, le sexe triste, hélas.
Mains
aux hanches, Clarisse se lance dans une danse du ventre à faire rougir les
myosotis, cependant que, pour l’assister, Chloé prépare une capote décorée en
fusée Jupiter .
L’évocation
de l’Orient et de la conquête de l’espace ont finalement raison des inhibitions
qui bloquaient Popaul . La chose a bougé, elle enfle, se soulève, Chloé l’aide
un peu, à petits coups du bout de l’index, avec un p’tit bisou, et maintenant
la voilà droite, la voilà raide, Chloé la coiffe .
Clarisse
est en place, agrippée des deux mains à la table, le dos bien a plat, dessous
ses seins merveilleux, la croupe ouverte, prête pour une sublime levrette . Du
côté de Popaul, qui parlait de blocage ? Il s’approche, et Jupiter décolle...
Mais la métaphore a des limites . D’abord parce que, quand elle est partie, la
fusée, elle ne revient pas en arrière pour redécoller de plus belle, et aussi
parce que, vu sa vitesse, on en arriverait tout de suite à une éjaculation
précoce . Là, rien de tel . Patience et tempérament . Paul a démarré en pépère
tranquille et il continue de
besogner à son train, un train
soutenu, sans plus, ce n’est pas un lapin . Mais il besogne à grands coups de reins, si bien que la table
recule.
Elle
n’ira pas jusqu’au mur.
De
l’autre côté, Chloé a réagi . Elle fait front, dans la même position que
Clarisse, avec l’aide de Georges
qui n’a pas perdu de temps pour se désaper et enfiler une hure de sanglier,
motif décoratif de son préservatif .
D’un
côté comme de l’autre, on s’en donne à cœur joie, les filles l’œil vaporeux, la
langue entre les dents, les mâles sourcils froncés, et les pénis coulissent, et
les vulves frémissent et se serrent, il y a de la comédie lyrique dans tout
cela, un brin de farce et de la poésie épique tant et si bien que la table ne bouge plus .
On
s’en tiendra à cet équilibre pour ne pas sombrer dans l’équivoque et le salace
.
A la
fin de ce qu’il considère comme une première manche, Georges en propose bien
une seconde, avec échange des partenaires, mais les jeunes filles refusent,
pour des raisons d’hygiène, ces messieurs ne disposant que d’une pièce qui
n’est même pas équipée d’une salle d’eau .
- Vous
avez raison les filles on aura l’occasion de se revoir , conclut Popaul, qui
semble avoir pris goût au divertissement.
- A
moins que... intervient Jo, à moins que... malheureusement, on soit obligés de
se séparer... les révélations que vous avez à nous faire devant nous permettre
d’arrêter l’assassin...
- Toi,
tu perds jamais le nord, mon p’tit Jo, lui lance Chloé, mais t’as tort de
rigoler, nos infos vont te la couper, ah! ah! ah!
- A
vrai dire, ce qu’on a à préciser n’a rien qui fasse rire, poursuit
Clarisse d’un ton lugubre .
- On a
longtemps hésité... dit Chloé .
Seulement
voilà, il s’agit d’un crime odieux, qui donne des frissons. Il est quand même
question d’un mec éventré, un salaud peut-être, mais si on les étripaillait
tous où irait-on, bref, en conscience, ces demoiselles ont estimé ensemble
qu’elles devaient revenir sur leur première déposition .
Il
leur en coûte beaucoup...
Il
faut les comprendre...
En
deux mots comme en cent, voilà : Toni et Riton n’ont pas d’alibi, contrairement
à ce qu’elles ont dit. Elles tiennent à préciser... Ils n’étaient pas auprès
d’elles après la baignade en commun, quand Chloé a refait des prises destinées
à doubler l’héroïne courant vers la mer . Leur absence a bien duré... trois quarts
d’heure . Quand ces demoiselles les ont retrouvés, ils avaient mauvaise mine .
Ensuite,
ils se sont bien repris sous la douche, mais il n’empêche ...
Il
n’empêche .
Romance en marge
Bamboula
a rejoint Lola dans sa chambre .
Le
môme a été soumis à un premier interrogatoire, en même temps que Toni, à la
suite de la découverte dans leur tente de la mallette . Mais Toni a tout pris
sur son dos, affirmant mordicus que son Titi négro ne l’avait pas aidé a
enterrer le magot . Ce qui d’ailleurs était vrai . Moyennant quoi il avait été le seul à être maintenu en garde à vue .
Pour
réconforter son jeune visiteur, Lola lui offre un Coca et l’invite à prendre place dans un fauteuil,
heureuse de jouer à la maîtresse de maison dans cette belle chambre d’hôtel .
Ils ne
se sont pas revus depuis la perquisition dans le camping .
Ils
ont beaucoup de choses à se dire .
BAMBOULA
- Je m’demande où ils sont, Riton et Simone ?
LOLA -
Dans leur mobile home, je suppose .
BAMBOULA
- De quoi s’marrer ! parce que, ça a dû chauffer entre eux, vu que chacun
connaît l’alibi de l’autre... le soir du crime . Ah! la Simone, la garce, elle
qui est stricte comme un coup de trique, elle baise quand même en douce quand
elle a l’occase ...
LOLA -
Ne parle pas d’elle comme ça ! Simone... comment te dire, Bambou... Simone,
d’abord c’est mon amie, et surtout mon modèle, tu vois ce que je veux dire ?
BAMBOULA
- Non, pas du tout... Tu parles d’un modèle ! Elle se fait sauter par un
inconnu parce qu’il est vaguement quelqu’un dans le cinéma, mais moi, petit
mecton de la Cité, si je m’approche, elle me méprise...
LOLA,
amusée - Tu as essayé ?
BAMBOULA
- Ouais...
LOLA -
Et alors .
BAMBOULA
- Elle m’a fait sa bouche en cul de poule, j’ai compris...
LOLA -
Non, je ne crois pas que tu aies compris... Ne parlons pas de ce Gabriel, c’est
un accident, c’est le cinéma, la chaleur, l’air du festival... Simone n’est pas
comme ça. C’est une fille sérieuse et fidèle, et tu sais pourquoi ?
BAMBOULA
- Bof!... non...
LOLA -
Parce qu’elle aime, tout simplement .
BAMBOULA
- Elle aime qui ? Riton ? Et alors ? Toi aussi, tu l’as aimé...
LOLA,
émue . - Ce n’est pas pareil... Eux, ce n’est pas de la gaminerie... Ce n’est
pas que le sexe... Ils se sont rencontrés vraiment, ils se sont reconnus ... au
niveau des sentiments...
BAMBOULA
- C’est drôle ce que tu dis, Lola, quand tu dis “ce n’est pas que le
sexe”... Parce que, moi, c’est
pareil vis à vis de toi... Quand je pense à toi, Dieu sait que... bon,
d’accord.... Mais comme je pense à toi tout le temps, Lola, à tout instant, du
matin au soir autant que du soir au matin, souvent c’est sans que le tracassin
me tourmente... Souvent je me dis “je voudrais faire ci ou aller là avec elle”,
en promenade, en voyage, en vacances, rien que la main dans la main.... C’est
pas des sentiments ça, dis, Lola ?
LOLA,
s’efforçant de rire, une larme à l’œil . - Tu ne vas pas me dire que tu
m’aimes, Bambou ?
BAMBOULA
- Pourquoi ? Tu te moques... parce que j’ai six ou sept ans de moins que toi...
LOLA -
Oh ! l’âge n’a pas grande importance...
BAMBOULA
- Alors je te le dis, je t’aime .
LOLA,
avec des filets de larmes sur les joues .- Laisse-moi un peu de temps, Bambou,
et je te dirai peut-être “moi aussi je t’aime” .
Il se
lève, la prend dans ses bras , la serre très fort . Enlacés, ils tombent sur le
lit . Mais c’est pour se parler à l’oreille .
Que
pourraient-ils faire s’ils veulent vivre ensemble ? Lui doit finir son année
scolaire, passer le Brevet, préparer un CAP de vente . A moins qu’il n’entre
directement dans le monde du travail . Pour travailler avec elle . Ils finiront
bien par trouver le moyen d’obtenir la gérance d’un magasin de lingerie ou de
vêtements pour enfants . A moins qu’ils ne partent sur les routes... Non,
mais... sérieux, sérieux... Avec un vrai, bon, vieux camion, pour être
marchands sur les marchés... A travers toutes les provinces... Lingerie et
vêtements pour enfants... Ou autre chose... Encore mieux... Un camion
spécialement aménagé, pour vendre des glaces l’été, à Deauville, et des crêpes
l’hiver, à Chamonix, ou bien des pizzas en toute saison .
Elle
préfèrerait une gérance... C’est plus sûr... Somme toute, il veut bien ...
Ils
ont tellement parlé que, pour reprendre souffle, ils se bécotent... Soudain, il
veut s’écarter d’elle, pour lui prouver qu’il est capable de l’aimer sans céder
au désir charnel .
Mais
d’une main caline elle lui laisse entendre que le tracassin n’est pas l’ennemi
de l’amour .
Traitement de faveur
RITON
- Parce que vous croyez que je serai gendarme, mais justement...
LE
TITAN - Erreur, jeune homme, n’espérez aucun passe-droit au titre de futur
gendarme . En vérité, ce qui m’intrigue, c’est que vous vous soyez fourvoyé
dans cette équipe de branquignols que constituent vos comparses...
RITON
- Nous sommes des camarades d’enfance, commissaire, au demeurant tous innocents
dans cette affaire, innocents et solidaires.
LE
TITAN - Voilà qui s’appelle parler . Mais regardons-y de plus près . Ledit
Bamboula est-il vraiment pour vous un camarade d’enfance ?
RITON
- Non, lui c’est le protégé de Toni ...
LE
TITAN - Qu’entendez-vous par “protégé “?
RITON
- Son père l’a abandonné . Sa mère est restée seule avec trois enfants . Elle
fait des ménages . Si l’aîné, Bambou, n’a pas mal tourné, c’est parce que Toni
le traite en petit frère, tout le monde le sait dans la Cité , et cela compte .
LE TITAN
- Donc, selon vous, la conduite
habituelle de ce musicien, disons... hors catégorie, est exemplaire . De même que celle de son petit favori,
qui brille dans son collège par ses absences . De même que celle de
mademoiselle Lola, jeune fille entretenue... De même que celle de mademoiselle
Simone, qui n’a guère fait plaisir à sa patronne, nous nous sommes renseignés,
en cédant à l’attrait des paillettes du festival... Hein, qu’en dites-vous, monsieur le futur gendarme?
RITON
- J’en dis que... J’apprécie votre ironie, monsieur le commissaire . Pour ce
qui est de mon avenir, je vous dois une information... C’est une nouvelle toute
récente... Un collègue m’a téléphoné . Un poste intéressant serait sur le point
d’être libre dans l’entreprise où je travaille, et l’on penserait à moi... Dans
ce cas, adieu l’uniforme . Mais je suis sûr que ce n’est pas pour me parler de
ma vocation que vous m’avez appelé .
LE
TITAN - En effet . Je suis heureux d’apprendre que vous allez avoir à choisir
et je me garderai de tout conseil dans ce domaine . Si je vous ai convoqué,
c’est parce que des témoins sont revenus sur leurs premières déclarations .
Leur nouvelle déposition vous charge . Il s’agit de Clarisse et de Chloé qui
disent maintenant que Toni et vous avez quitté la plage, pendant plus d’une
demi-heure, entre le moment de la
baignade en commun et le moment où vous vous êtes retrouvés pour aller aux
douches .
RITON
- Oh! les garces! Comme elles se vengent !
LE
TITAN - Expliquez-vous .
RITON
- Oh! les salopes... Excusez-moi... Voilà ce qui s’est passé... Satisfaites
sans doute de notre soirée aux douches, elles nous ont proposé une nouveau
rendez-vous ... Nous avons refusé...
LE
TITAN - Toni et vous, vous avez refusé ?
RITON
- J’ai refusé, et elles n’ont pas voulu de Toni seul ... Elles ont été vexées,
elles nous le font payer .
LE
TITAN - Pourquoi avez-vous refusé .?
RITON
- Commissaire, s’il vous plaît... Vous avez vérifié nos alibis... Vous savez
tout de cette soirée. Vous connaissez l’emploi du temps de chacun de nous,
presque minute après minute ...
LE
TITAN - Vous n’avez pas répondu à ma question ? Pourquoi avez-vous refusé ?
Gardez-vous un si mauvais souvenir de vos ébats avec ces jeunes personnes?...
RITON
- Simone et moi, nous avons eu... entre nous, une explication . Voilà
pourquoi... Je n’ai rien d’autre à en dire, commissaire . En revanche, si vous
souhaitez que j’entre dans le détail des éléments de mon alibi, je peux le
faire .
Et
Riton d’expliquer que durant toute la demi-heure litigieuse, il n’avait pas quitté
le caméraman chargé de filmer l’entrée de Chloé dans la mer . Il lui avait posé
cent questions, allant jusqu’à l’importuner, ce dont assurément il se
souviendrait .
Quant
à Toni, qui devait rôder dans les parages, il n’aurait probablement aucune
peine à conforter, plus ou moins de la même manière, son propre alibi.
La
marinade
TONI -
C’est une stratégie de poulaga, mon pote.
BAMBOULA
- Une tragédie de quoi ?
TONI -
Pas une tragédie, une stratégie . Une combine... Y nous laissent mariner ensemble
pour... je sais pas... pour qu’on se monte le bourrichon, pour mieux nous
coincer ... Faut qu’on s’en tienne à c’qu’on a dit, t’entends, môme .
BAMBOULA
- D’accord, d’accord, Toni . Quoique, s’ils me rattaquent sur les
pneumocoques...
TONI -
Les quoi ?
BAMBOULA
- De la chaude-lance.
TONI -
C’est pas des pneumocoques, Bambou, c’est des... un autre genre de “coques”,
mais surtout, on n’a pas à revenir la-dessus, tout a été dit, point barre .
BAMBOULA
- D’accord... mais tout de même, ce Durimel, on peut pas me forcer à dire que
je l’aimais, et toi non plus,
Toni, tu l’aimais pas ....
TONI ,
levant les bras au ciel. - Et nous y voilà ! La stratégie de ces cons de
bourrins l’emporte . Mon Titi négro commence à se demander s’il est pas
lui-même l’assassin, à moins que ce soit moi, son pote .
BAMBOULA
- Mais pas du tout, Toni ! Je te connais assez... Je sais très bien que tu ne
serais pas le mec assez taré pour larder une quinzaine de fois un salaud que tu
aurais planté à mort du premier coup... Tu veux mon avis? C’est un dingue qui a
fait çà...
TONI -
Ouais... mais tu me crois cap d’avoir porté le premier coup . Et si j’avais
continué de frapper pour qu’on pense à un détraqué...
BAMBOULA
- Puisque t’as un alibi,Toni !... Jamais, au grand jamais j’ai pensé à une
chose pareille...
TONI -
Et la mallette ? Pourquoi je l’ai planquée sans en parler en personne ? Réponds
!
BAMBOULA,
les larmes aux yeux . - Je sais pas . J’ai déjà répondu . Je me laisserai pas
embobiner par les poulagas... Arrête de les imiter, Toni !
TONI -
Est-ce que tu as cru qu’elle était destinée, comme la première, à Durimel .
BAMBOULA
- J’ai rien cru, j’ai déjà
répondu.
TONI-
Parce que, si elle était pour
Durimel, ce salaud, c’était moins
grave de la voler.
BAMBOULA
- J’ai plus rien à dire... j’ai déjà répondu... Ils ne m’auront pas avec leurs
coups fourrés ... leur ... comme
tu dis, Toni, leur tragédie de bourriques...
RITON
- Leur stratégie, mon Bambou , mais gaffe! les voilà .
Va y avoir du sport
Y font
leur entrée, Popaul and Jo . La gueule en biais . L’air joice des mauvais jours
. Le regard sombre, tempéré cependant d’une lueur de malice . Les premiers
arrivés occupent les deux sièges . Ils ne se lèvent pas . Les arrivants les
délogent d’un geste et prennent leurs places . Popaul attaque .
PAUL-
Alors mes empapaoutés, vous avez été contents de vous retrouver ?
BAMBOULA,
bas, à Toni . - ça veut dire quoi empapaouté ?
TONI,
fort . - ça veut dire enculé, empafé, pédé...
BAMBOULA
- Oh! les cons .
TONI -
C’est comme ça qu’y causent, mon Caoua, ces Messieurs de la poulaille . Faut t’y faire .
PAUL,
à Georges . - Jo, j’crois qu’y nous cherchent, ces emmanchés .
GEORGES
- Ce que j'me demande, vois-tu, Paul, c’est lequel est passif, lequel est actif
?
PAUL -
En principe, dans un couple de ce genre, le plus jeune, c’est la femme, mais ce
moricaud-là m’a l’air d’avoir trop de tempérament...
GEORGES
- T’as raison, y sont sûrement l’un comme l’autre bique et bouc...
BAMBOULA,
à Toni . - Qu’est-ce qu’y disent ?
TONI -
Que tantôt t’es bique, mon Caoua, t’écartes les fesses et tu te fais taper
dedans, tantôt t’es bouc et c’est toi qui encules .
BAMBOULA
- Oh ! les dégueulasses . Pourquoi y disent des choses pareilles ?
TONI -
Parce qu’ils s’y connaissent, ayant une grande pratique, quoique l’un, à le
voir comme ça, je pense qu’il ne bande que d’une, ouais, y doit bander mou...
BAMBOULA
- Lequel ?
TONI -
Devine .
PAUL -
Y nous cherchent, Jo...
GEORGES,
sévère . - On va passer aux choses sérieuses. C’était juste une entrée en
matière... Une entrée en matière... Vous avez le droit de rigoler .
PAUL,
après un silence . - Une “entrée en matière”, elle est bonne . Et moi je dis
qu’on va leur demander une nouvelle déposition, mais en n’écrivant rien au
verso... puisqu’ils n’aiment que le rectum... Eh ! elle est pas mauvaise non
plus .
TONI,
à Bamboula . - Je t’expliquerai, bonhomme, je t’expliquerai . ( Aux policiers.)
Vous noterez, messieurs, que nous restons très calmes.
GEORGES,
d’un ton funèbre . - Premier point : les témoins dénommés Clarisse et Chloé ont
modifié leurs déclarations, en conséquence de quoi, Riton et toi, Toni, vous
n‘avez plus d’alibi entre onze heures moins le quart et onze heures un quart.
Où étais-tu durant cette période?
TONI -
C’était après le bain... Ma foi, je devais glander autour du tournage... On a
dû me voir... Moi, j’avais un
rendez-vous , et vous savez ce que c’est, j’imaginais la suite... J’ai pas vu
ceux qui ont dû me voir... mais si
vous cherchez vous les trouverez.
PAUL -
On a déjà cherché, on n’a rien trouvé
GEORGES
- Première charge .
PAUL -
Tu as eu le temps de faire un saut jusqu’à l’hôtel de Durimel, il est à deux pas...
GEORGES
- Le Titi négro qui faisait le
guet t’a dit que le sieur Jules venait de sortir...
PAUL -
Tu sonnes comme si tu étais le garçon d’étage, tu entres et tu frappes .
BAMBOULA,
à Toni . - Qu’est-ce qu’y disent ? C’est pas possible puisque j’étais sous la
fenêtre de Lola .
GEORGES,
à Bamboula . - Qui t’as vu ?
BAMBOULA
- J’ai plus rien à dire, j’ai déjà répondu .
Le
lieutenant Paul se lève, prend sur la table un gros annuaire du téléphone,
nonchalamment, et paf! il en assène un grand coup sur le crâne du môme .
Celui-ci vacille, mais parvient à se redresser .
Toni,
qui a levé le poing , se contient .
PAUL,
à Bamboula . - Si on te demande de répéter, tu répètes, t’as compris, racaille
.
GEORGES,
rigolard . - Passons à autre chose pour calmer les esprits . Vous, des zozos de
banlieue, vous n’imaginez pas ce que peut faire la science . Figurez-vous qu’on
a le résultat de l’autopsie . . . La victime avait des lambeaux de peau sous
les ongles... On a donc l' A.D.N. de l'assassin . C’est pourquoi mon ami Paul
va vous taquiner la bouche avec ses bâtonnets. (A Bamboula qui riboule des calots inquiets.) Ton pote Toni
t’expliquera, mon petit .
TONI -
D’accord... On peut pas refuser, mon Caoua. ( Paul procède au prélèvement de
salive.)
GEORGES,
à Bamboula. - D’où pouvaient provenir ces lambeaux de peau, on s’est longuement
posé la question . Qu’est-ce que t’en penses bout de zan ?
BAMBOULA
- Fastoche . Le trucidé a dû se débattre, ou se défendre avant le coup mortel,
et il aura griffé l’assassin ...
PAUL,
à Bamboula . - Sais-tu que t’es pas la moitié d’un con . (A Toni, avec l’air de
celui qui en a sorti une bien bonne.) Hein qu’il est pas la moitié d’un con ?
GEORGES
- Trève de rigolade . Qui dit griffer, dit griffures . Faut qu’on vous examine
tous les deux .
Toni,
qui porte un marcel, tend ses bras nus . Bamboula, pareillement vêtu, l’imite .
Georges
les ausculte .
Paul
veut voir leur dos ; ils ôtent leur débardeur .
PAUL -
Et maintenant le pantalon .
TONI -
Jamais . .
BAMBOULA
- Jamais .
GEORGES
- Il peut s’agir d’un crime sexuel .
BAMBOULA,
à Toni . - Qu’est-ce qu’il veut dire ?
TONI,
défaisant sa ceinture . - Tombe le futal, mon Caoua, sinon ça nous mènerait
trop loin dans les discutailleries .
GEORGES
- Et voilà, il ne vous reste plus qu’à ôter vos slips .
TONI -
Jamais .
BAMBOULA
- Jamais .
PAUL -
C’est la règle . Votre amie Lola n’a pas fait tant
d’histoires...
BAMBOULA,
bouleversé . - Elle s’est foutue à poil devant vous?
GEORGES
- C’est la loi .
Toni
cède, et sur un signe de lui, Bamboula se défait de sa dernière pièce de
vêtement .
Alors
ces Messieurs se lèvent pour saluer comme il le mérite le sexe hors norme
offert par le créateur à l’éphèbe couleur d’ébène. L’admiration se mêle chez
eux à l’envie irrépressible de plaisanter jusqu’à en épuiser leur vocabulaire .
Ce qu’ils ont sous les yeux, ce n’est pas une anguille de calecif, c’est une
andouille à col roulé, pas une bistouquette, un mandrin, pas une asperge, un
braquemard, pas un fifre à grelots, un gourdin, pas une biroute, une
défonceuse, une balayette infernale .
GEORGES
- On aimerait voir ça dans son apothéose, en pleine bandaison.
PAUL,
soulevant du bout des doigts le merveilleux pénis . - Facile...
BAMBOULA,
sautant en arrière .- Me touche pas !...
TONI,
menaçant . - ça commence à bien faire, les mecs.
GEORGES,
en train d’enfiler un gant de caoutchouc. - T’as raison, Toni, on finit par la
fouille corporelle réglementaire et on vous laisse .
BAMBOULA
, à Toni . - Qu’est-ce qu’y dit ?
TONI-
Qu’y veut nous mettre le doigt dans l’cul.
BAMBOULA
- T’es d’accord ?
TONI,
dents serrées .- Pas d’accord .
(Aux policiers .) Vous cherchez
quoi ? De la drogue ? Un message secret ? Quel rapport avec
Durimel ? Avec l’A.D.N. ? Avec les
griffures ?
PAUL,
enfilant à son tour un gant . - Vous faites bien des histoire pour des pédoques
. Votre copine, ladite Lola, est plus souple...
BAMBOULA
- Sale porc, tu lui as mis le doigt...
PAUL -
On n’a pas eu besoin. Elle t’a pas raconté? On lui a fait grâce de la revue de
détail, en échange d’une gâterie... Oui, mec, on s’est fait souffler dans le
mirliton, on s’est fait croquer...
GEORGES,
craignant que la raillerie ne tourne à son désavantage . - C’est une suceuse de
première classe.
BAMBOULA
- C’est pas vrai, elle aime pas ça !...
PAUL,
ajustant les doigts de son gant.- ça dépend de ce qu’on lui propose et comment
c’est proposé...
BAMBOULA
- Aaah !...
Le
môme pousse un cri . Les mains cachant son sexe, il prend son élan et se jette
en avant . Il veut frapper de toutes ses forces, il y parvient, son front heurte de plein fouet la face du
policier . Le sang gicle du nez de Paul . Pour autant, celui-ci n’est pas
assommé, il ne perd pas son caime, il arme on poing et abat son agresseur d’un
coup au menton .
En ce
moment, la table se renverse, car Toni entre en action . Il a boxé, ce mec, ça
se voit . Il se met en garde . Puis marche sur Georges qui est le plus proche
de lui . Georges lève les poings . Toni n’en frappe pas moins, et l’atteint à l’œil . A prévoir, un superbe
cocard . Georges vacille, mais se reprend . Et pan! comme ça il aura les deux
yeux au beurre noir . Un troisième coup l’aurait peut-être mis K-O . Mais Paul
intervient . Passe derrière Toni . Parvient à lui agripper les bras . A les
maintenir assez longtemps pour que Jo lui en mette un dans l’épigastre. Côté
foie, ces Messieurs sont connaisseurs . Et pas manchots . Pas très grands
peut-être mais râblés . Les horions qui suivent, bien pesés, lui coupent le
souffle, au malabar, une série supplémentaire lui coupe les jambes . Il
s’effondre .
Il est
à terre, le mastard, le cador de la Cité des Fleurs. Sonné . Sonné, mais pas
inconscient. Il ouvre un œil . Il voit Popaul, épongeant le sang qui inonde son
visage, il voit Jo, tâtonnant, essayant de mesurer du bout des doigts la
circonférence de ses coquarts . A leurs pieds, il y a son Caoua, inerte,
assommé par le coup d’annuaire suivi d’un upercut au menton , mais sans trace
apparente d’agression . Quant à lui, il a quelque peine à retrouver sa
respiration, son ventre le fait souffrir, mais il sait que son visage est
intact. Ah ! les salauds de bourrins, ils n’auront pas de mal à leur faire
porter, à lui et à Bamboula, innocentes victimes, le chapeau de la violence . Ah! la sale engence de
cognedurs!
Jo
relève la table . Popaul se dirige vers la porte, pour appeler du renfort, de
la flicaille encore qui témoignera pour eux. Alors Toni se relève et fonce,
tête basse, sur la table, dont il heurte l’arête avec son arcade sourcilière
droite. Puis recule et repart, pour se fendre l’arcade gauche. Les arcades
sourcilières, c’était son grand souci du temps où il boxait, c’est à cause de
leur faiblesse qu’il à dû renoncer au sport qu’il aimait. Le sang qui ruisselle
autour de ses yeux et sur ses
joues, il l’étale du revers de la main .
Trois
agents entrent dans la pièce . Sur l’ordre de Georges , ils passent les
menottes à Toni avant de l’asseoir, puis relèvent Bamboula, le secouent pour le
ranimer et l’emmenottent à son tour .
Ces
Messieurs se plaignent bruyamment de l’agressivité des prévenus, de leur
brutalité inqualifiable, Bambon pousse des gémissements qui se transforment peu
à peu en hurlements, Toni proteste et vocifère, coups de gueule et criailleries
s’opposent, se recouvrent, rivalisent... Et soudain tout se tait . Le Titan
fait son entrée .
- Je
n’aime pas ça, grogne-t-il.
-
Monsieur le Commissaire, lance Toni ensanglanté, je porterai plainte...
-
C’est eux qui ont commencé, patron, disent ensemble Paul et Georges.
Le
Titan demande à ses hommes où ils en sont de leur vérification d’alibi .
- On
allait y venir, patron, répondent en chœur les argousins.
-
Commissaire, s’écrie Toni, j’vais vous dire ce qu’ils avaient l’intention de
vérifier...
- Et
lui ? s’inquiète le Titan, montrant du doigt le pauvre Bambou en piètre état.
Le
garçon, se sentant visé mais se méprenant sur l’intention du chef de ces
Messieurs, parvient à bredouiller :
- J’ai
plus rien à dire... J’ai déjà répondu .
- Je
vous donne dix minutes, tranche le commissaire avant de se retirer, dans dix
minutes je veux le compte-rendu de l’interrogatoire sur mon bureau .
Un portier qui a l'œil
Le
commissaire Henri Cloutan, dit le Titan, est un as du syllogisme . Une bonne
preuve ? L’homme qu’il reçoit, tout en rondeurs et en sourires ambigus,
ressemble à Jules, lequel ressemble à l’acteur Jugnot, d’où le commissaire
conclut que l’arrivant ressemble à Jugnot .
- Vous
me reconnaissez ? demande l’homme .
-
C’est à dire que ?...
- Je
suis Amadeus .
Le
Titan sourit sans répondre, se disant plaisamment à lui même : “Ce n’est pas
Mozart, ce n’est pas Jugnot ...”
-
Amadeus, le portier de l’hôtel Canberra, complète le visiteur .
-
C’est exactement ce que je pensais, ment sans broncher le policier .
Le
portier souhaite compléter son témoignage . Ou plus précisément apporter un
autre témoignage . Qui pourrait être de la plus grande importance . Monsieur le
commissaire en jugera . Toutefois, ce n’est qu’un témoignage, en aucun cas une
accusation, Amadeus à le sens du
devoir de réserve, il a le souci de la renommée du palace qui l’emploie, il ne
voudrait nuire à personne, rien n’est pire qu’un innocent injustement
inculpé...
- Si
nous en venions au fait, propose le Titan .
Eh
bien voilà, vu que le crime a eu lieu chez lui, autrement dit dans l’hôtel où
il travaille, Amadeus suit l’affaire de très près . Il lit tous les journaux .
Certes il comprend que le commissaire traque les petits voyous de cette bande
qui est venue de Paris, bizarrement liée à des notables de la région...
- Au
fait, dit le Titan .
Il lit
donc tous les journaux . Il a noté que, pour ce qui est de la politique, des
soupçons pèsent sur les adversaires, et même, et peut-être davantage, sur ses
soi-disant amis politiques... Passons . La vie sentimentale de la victime a
retenu toute son attention . On sait ce que la jalousie peut avoir pour
conséquence... Ce nest pas pour rien que l’on a créé l’expression “crime
passionnel”... Passons . Reste la délinquance financière... Amadeus a tenté
d’en déméler les intrications, d’en suivre les méandres, scandalisé à l’idée
que pendant que les malfrats en col blanc agissent impunément, les
contribuables trinquent et les plus malheureux croupissent dans leur misère...
-
Passons, fait leTitan .
- J’ai
lu tous les articles, poursuit l’homme, tous sans exception ...
- Et
alors ?
- Rien
. Pas une ligne ne m’a mis sur la voie...
- Vous
comprendrez, cher monsieur...
- Mais
il n’y a pas que les articles, commissaire, il y a les images, et j’ai l’œil .
Amadeus
sort de sa poche un journal qu’il étale sous le nez du policier . Du doigt, il
pointe, sur une image, un personnage : c’est un manifestant, qui avait
participé a un mouvement de protestation, lorsque Durimel avait été plus ou
moins blanchi au terme d’un précédent procès .
- Je
ne vois pas... dit le Titan .
- Vous
ne le reconnaissez pas ?
- Non
...
-
Vous ne trouvez pas qu’il ressemble à ma description : l’homme au nez aquilin et aux
joues creuses, c’est lui...
- Vous
êtes sûr de vous ?
-
Absolument .
-
J’enregistre immédiatement votre déposition, s’empresse le commissaire .
Rappelez moi votre nom :
Amadeus... Amadeus comment?... Je n’ose pas dire Mozart, celle-là on a dû vous
la faire souvent .
_ Oh!
oui, commissaire . Mais elle m’amuse toujours . De fait, je m’appelle Amadeus,
parce que je suis autrichien du côté de ma mère et Eksmakina, parce que je suis
grec du côté de mon père . Je suis Amadeus Eksmakina .
Enlevez, c'est pesé
Ses
meilleurs lieutenants, le Titan ne les a pas tous emmenés au festival . Il en a
laissé à Paris d’aussi valeureux, consciencieux et efficaces que Georges et
Paul . Pas étonnant donc si un coup de téléphone et quelques heures leur
suffisent pour mettre la main sur le suspect au profil aquilin.
Un
individu qui se nomme Amédée Levinci .
Un
interrogatoire bien conduit incite le prévenu à présenter d’abord aux policiers
ses doléances, puis à avouer ses rancunes, avant de soulager tout à fait son cœur et sa conscience par
des aveux complets .
Amédée
possédait une petite maison et un grand terrain à l’endroit où le député-maire
Durimel voulait édifier une ville nouvelle. C’était un bien qui lui venait de
ses parents, lesquels le tenaient d’une lignée de Levinci dont l’origine
remontait au Moyen-Age . En ce temps-là, sur la terre qu’on voulait lui
arracher, ses ancêtres cultivaient la vigne pour le compte des moines de
l’abbaye de Saint-Denis, dont l’église, devenue cathédrale, abrite les
sépultures des rois de France ...
Le
Titan est hostile, par principe, à la fermeté dont font preuve parfois Georges
et Paul dans l’exercice de leurs fonctions. Il sait que ses hommes de Paris ne
sont guère plus tendres, mais quand ceux-ci lui répondent au téléphone qu’ils
en sont aux sépultures des rois de France, il ne peut s’empêcher de les prier
de hâter les choses .
Donc,
Levinci ne voulait pas lâcher sa propriété, ce qui a beaucoup déplu à Durimel,
qui a obtenu que notre homme soit exproprié et très mal indemnisé .
La-dessus,
Durimel est arrêté pour malversations . Il est démis de ses fonctions . Son
projet tombe à l’eau, Amédée Levinci reprend espoir . Il va récupérer sa
terre...
Mais
la justice - y’a plus d’justice !
- et les électeurs - y’a pas plus
cons ! - le blanchissent .
Amédée
Levinci croit qu’il va devenir fou .
Durimel
reprend son projet, en plus grand . Levinci continue de se battre. Sa mini
indemnisation suffira-t-elle à payer ses avocats ?
Durimel
-plus escroc que lui tu meurs !- rechute.
Amédée
Levinci renaît .
La
justice relâche l’aigrefin .
Amédée
Levinci devient fou .
La
femme d’Amédée a une amie qui est l’amie d’une femme appartenant au cabinet du
maire . Par cette chaîne, le malheureux héritier des vignerons de l’abbaye de
Saint-Denis apprend que Durimel, grisé par la perspective d’un nouveau non-lieu, ne tient plus aucun
compte des lois et règlements... Qu’il va prendre l’avion... Descendre au Meynadier... Rencontrer
son complice... Pour finaliser leur projet... Pour se préparer à spolier
d’autres malheureux... Et lui, pauvre Amédée, pour le crucifier définitivement
.
Il ne
se laissera pas faire . Il prend l’avion qui suit celui de son ennemi... Arrive
à Cannes... Repère l’hôtel... La chambre... Se mêle aux festivaliers... Attend
la venue de Jules... Jusque fort tard le soir...
Il veut
les surprendre ensemble et faire éclater au grand jour leur complicité... Il
fera un scandale... Il criera... Par la fenêtre, dans la rue... Par le porte,
dans les couloirs du palace... La police , la justice seront alertées... Les
journalistes innombrables oublieront un instant les stars du cinéma et rendront
compte des conditions dans lesquelles un député-maire escroc bafoue les lois de
la République...
Mais
ledit Jules déjoue ses plans . Sa visite à Durimel est trop brève . Amédée le
voit ressortir .
Va-t-il
abandonner ? Tout ce voyage pour rien ! Il toque à la porte de l’escroc ! Est
fort mal reçu... Échange d’insultes, échange de coups... Le malfrat à col blanc
est vigoureux... Il veut étrangler son visiteur... Il le griffe au haut de la
poitrine, dans l’échancrure de sa chemise ouverte... Il lui enserre le cou de
ses mains ... De ses pouces lui écrase la glotte...
Amédée
ne parvient pas à se dégager... Il étouffe... Il réussit à prendre dans sa
poche son couteau dont il ne se sépare jamais... Vieille tradition paysanne... Arrive à l’ouvrir avant de suffoquer... Et le plante
dans le cœur de son ennemi.
Durimel
est mort . Adieu le scandale espéré . La campagne de presse. Le retournement de
la justice en faveur du malheureux propriétaire spolié . L’élu coupable ne sera
pas condamné à la suspension définitive de toutes ses fonctions, ce qui aurait
entraîné l’abandon de tous ses projets .
Même
mort, Durimel le nargue . Alors Amédée Levinci cède à la rage qui l’anime . Il
poignarde une quinzaine de fois sa victime au lieu d’appeler la police et de
plaider la légitime défense .
Ensuite,
il ne s’est pas immédiatement constitué prisonnier, mais il s’apprêtait à le
faire, et finalement, il n’a pas été mécontent que la visite des hommes du Titan l’arrache à ses
dernières hésitations .
Il a
fait voir les griffures qui marquent sa gorge.
Il
compte sur la comparaison des A.D.N. pour confirmer sa version des faits .
Et
reste confiant quant au sort que la Justice de la République lui réservera .
ÉPILOGUE
Le commissaire
Henri Cloutan désire revoir une dernière fois ceux qu’il a interrogés les jours
précédents .
Mais
avant que sa convocation leur soit parvenue, Riton et Simone se présentent à
son bureau .
Riton
doit rentrer ce jour-même à Paris . La direction de l’entreprise qui l’emploie
le réclame . Un poste d’informaticien correspondant à ses études et à ses
diplômes l’attend. Il renonce à la carrière de gendarme, et le Titan le prie
gentiment de ne pas exprimer de regrets superflus .
Simone
l’accompagnera si les formalités liées à la clôture de l’enquête le permettent
.
Ils
pensent déjà à leurs prochaines vacances . Ils iront à Venise...
LeTitan sourit, leur dit qu’ils peuvent prendre
le prochain train pour Paris et leur souhaite beaucoup de bonheur.
Le
commissaire reçoit ensuite le sieur Jules, qui se présente accompagné de M. de
Frossard . Toutefois, ce dernier ne franchit pas le seuil de la pièce qu’occupe
le policier. Jules devra exposer seul qu’il ne collaborait avec la victime qu’à
des activités commerciales honnêtes. Ce qu’Il essaie de faire, tant bien que
mal. Mais le Titan ne l’écoute pas très longtemps. Il met un terme au bavardage de l’agent immobilier en lui
signifiant qu’il sera forcément impliqué dans deux procès : celui portant sur les délits relevant de la
délinquance financière dont Durimel s’est rendu coupable, celui
portant sur son assassinat . Des juges d’instruction seront nommés qui se
chargeront des mises en accusation.
- Vous
risquez gros, cher monsieur, sourit le Titan, très gros, mais je ne crois pas
que vous arrangeriez vos affaires en chargeant Lola.
- Je
n’en ai nullement l’intention, monsieur le commissaire !
Et le
bonhomme d’expliquer que si sa précieuse mallette lui est rendue, il ne
portera pas plainte contre la
joyeuse bande des Cinq. Pour ce qui est de la jeune personne susdite, il ne la
reverra jamais, car il a femme et enfants, auxquels il tient, et qui ont été
alertés par la presse .
-
Est-ce à dire que vous jetterez cette jeune personne à la rue ? s’enquiert le
Titan, l’air sévère.
-
Certainement pas ! Je lui laisse son logement, et, connaissant ses ressources,
je ne lui demanderai qu’un loyer symbolique, le plus bas qui se puisse trouver
sur la place de Paris .
Sur
ces belles paroles qu’il semblait attendre, le commissaire estime que
l’entretien est clos .
Viennent
ensuite Lola et Bamboula , se tenant par la main. Ils s’asseyent face au Titan
et rapprochent leurs chaises . Où qu’ils aillent, quoi qu’ils fassent, ils
vivent depuis plusieurs heures sur un petit nuage et rien ne pourrait les en
faire descendre .
- Je
regrette la rudesse de quelques interrogatoires, fait le Titan en se râclant la
gorge.
Bof!
c’est à peine s’ils s’en souviennent . C'est à peine s'ils l'écoutent.
Le
criminel a été arrêté . Normal . Eux sont hors de cause . Évidemment . Même en ce qui concerne la mallette .
Bien sûr. Ils ne rencontreront plus Jules. Tant mieux . Lola gardera son
logement . Parfait. Ils sont heureux parce qu’ils s’aiment . Tout ce qui peut
leur arriver, c’est du bonheur .
- Vous
n’êtes guère bavards, sourit le policier. Qu’est-ce qui vous intéresse vraiment
? Comment voyez-vous votre avenir?
Ah! le
policier a mis le doigt sur ce qui les intéresse. . Ils répondent ensemble, se
regardent dans les yeux pour savoir qui parlera, font assaut d’éloquence, puis se passent la parole. Bamboula va
finir son année scolaire, Lola reprendra ses emplois de vendeuse intermittente
. Ensuite, le commerce...
Si le
commissaire les laissait aller jusqu’au bout, il y serait encore .
Il les
reconduit gentiment jusqu’à sa porte . Dès qu’elle est refermée, les lèvres des
amoureux s’effleurent.
Et
tout à coup la belle échappe à son soupirant. Il court après elle. Sous les
yeux étonnés des agents, ils se poursuivent en riant à travers les couloirs .
Arrivés
sur le trottoir, ils se donnent la main et s’éloignent de la maison de police
en dansant d’un pied sur l’autre.
Revenons
au bureau du commissaire Cloutan .
Celui-ci
dit à Toni :
- Vos
camarades sont libres, j’ai souhaité vous entendre en dernier...
- Vu
que l’assassin est connu et arrêté, je devrais être dehors moi aussi, grogne le
cador.
-
J’entends bien, jeune homme .Toutefois, mes hommes auraient encore quelques
questions à vous poser...
Silence
de Toni .
Si le
commissaire croit l’effrayer, il se trompe . S’il lui tend un piège, il en sera
pour ses frais .
- J’ai
noté, poursuit le Titan, que les derniers interrogatoires se sont bien
passés...
- Sauf
que, bêtement, l’un de vos guignols s’est penché sur moi juste au moment où je
me levais, dit Toni . On s’est cogné .
-
C’est à peu près ce qui m’a été rapporté, confirme en souriant le policier . En
dépit de cet incident, mes hommes ont bien travaillé . Ils ont établi votre
alibi, dont maintenant d’ailleurs vous n’avez plus besoin...
-
Alors pourquoi ils veulent me revoir, vos bouffons ?
-
Reste l’affaire de la mallette .
- Le
propriétaire a porté plainte ?
- Non
.
- La
mallette, c’était une taquinerie, commissaire.
Une
taquinerie, le mot plaît au Titan . Il figurera dans le procès verbal de leur
entretien .
Et,
puisque si Toni était soumis une fois de plus aux questions de ces Messieurs,
il ne trouverait pas d’autre terme pour expliquer l’extravagant voyage d’une
valoche bourrée d’euros, depuis le studio d’une modeste môme de Panam jusque
dans le sable d’un camping de la Côte, cet interrogatoire est inutile .
Le
Titan en convient.
Le
Titan est bon prince .
-
Votre garde à vue est terminée, dit-il. Qu’allez-vous faire maintenant, mon
jeune ami ? .
-
J’avais sur les bras le petit Bambou, qui est comme mon frelot, commissaire.
Mais je l’ai confié à Lola, une super fille, qui va le reconduire chez sa mère et qui veillera à son
éducation ... ..
Quant
à lui, le Toni, il n’a pas moins de projets que ses potes . La chance lui
sourit . Monsieur Gabriel, chef de casting, l’a engagé comme figurant jusqu’à
la fin du tournage du Rebondissement . Dans les flash-back de ce film, Il fait
désormais partie de l’orchestre avec lequel Jimmy, la vedette, a démarré . Il y
a mieux . Il a fait la connaissance d’un parolier qui va lui relooker ses
textes perso de rappeur .
Enfin,
cerise sur le gâteau, Gabriel le charge de cornaquer deux intermittentes
mutines, coquines, un brin instables, afin qu’elles soient toujours là quand on
a besoin d’elles .
Comment
se nomment-elles ?
Clarisse
et Chloé ovcorse.
Ce
qu’il ne dit pas, notre cador de la Cité des Fleurs, c’est que s’il se lasse de
tout ce cirque, il se tournera peut-être vers la politique .
Vu que
ça paye bien .
Tout
est possible.
-